Une noisette, un livre
Marathon rouge sang
Philippe Paillaud
Rouge
comme le sang. Un marathon aux couleurs de la corrida où des banderilles de
haine ont ensanglanté des courses qui n’avaient pourtant qu’un seul
objectif : courir. Courir pour le sport, l’amitié, la passion. Rouge
passion.
Sylvie
Joubert, fille du sénateur Paul de Lormont est assassinée une fin d’après-midi
au cœur de Paris pendant son jogging quotidien. Quelques mois plus tard, c’est
un autre coureur, Christian Delmont, qui est tué lors du marathon de Paris.
Tueur en série ? Psychopathe ? Les médias friands de sensationnalisme
se pressent pour faire monter les enchères (et les audiences).
En
parallèle, Bertrand Letellier, journaliste sportif au bord du précipice,
commence une renaissance en ayant rencontré une ancienne collègue qui l’engage
dans son entreprise blogueuse tout en le remettant en piste sur l’asphalte des
joggeurs. Très affecté par ces deux disparitions brutales, particulièrement
celle de Christian avec qui il avait découvert un drame commun : leurs
pères respectifs ont été assassinés en Amérique du Sud du temps de Pinochet et
de Videla. Il va alors peu à peu participer à l’enquête avec le commissaire Dougret.
Et
c’est là que se révèle toute la richesse de ce roman noir : un thriller
mais pas uniquement. En marge de la narration sportive, c’est une méticuleuse
recherche historique qu’a effectué Philippe Paillaud pour retracer le triste et
sombre passé de la colonisation française en Algérie et qui plus tard eut une
incidence en Amérique Latine : des anciens militaires français (souvent
ceux proches de l’OAS) envoyés dans l’hémisphère sud pour
« instruire » leurs collègues argentins et chiliens durant les
effroyables dictatures. La référence à l’enquête de Marie-Monique Robin (*) est
révélatrice. De l’opération Condor à la Coupe du Monde 1978…
Vaste
réflexion sur cet héritage déconcertant, sur les alliances avec le diable et
sur le travail de mémoire. Mémoire ineffaçable mais qui pose la question de la
repentance, du pardon. Pardonner ce n’est pas oublier mais permet de dissoudre
la haine pour éviter la répétition de la barbarie, en sachant que les vivants
d’aujourd’hui ne sont pas responsables des morts d’hier ou d’avant-hier.
Quant
à l’histoire policière, elle est rondement menée et pas que pour une nuit. Malgré
le titre pas d’hémoglobine en surplus, pas de détails sordides pour juste
contenter le regard voyeuriste ; juste le suivi romanesque d’une
investigation sans incohérence technique dans la procédure judiciaire.
Une
bonne galopade livresque qui, pour les non initiés comme votre serviteur, fera
découvrir le Seven Continents Club (dont l’auteur est membre) et l’univers
marathonien ainsi qu’une leçon d’histoire et de philosophie sur les fantômes du
passé qui laissent encore passer leur ectoplasme dans l’âme de nos
contemporains.
« Pierre savait
bien qu’on pouvait effectivement choisir son destin sur des idées, mais aussi
que parfois, peut-être même le plus souvent, c’étaient les circonstances qui
décidaient. Il se souvenait avoir entendu dire qu’en 1944 à Niort, deux frères
avaient épousé une destinée opposée, tout simplement parce que l’un deux était
amoureux de la fille du chef d’un réseau de résistants, et l’autre de la fille
d’un sympathisant de la milice. A la fin de la guerre, les idées et les choix
avaient réuni les deux frères dans le même cimetière, l’un tué par les soldats
allemands au cours d’une opération de sabotage, l’autre fusillé par les
résistants à la libération. Petits, ils étaient d’accord sur tout et inséparables.
Comme à présent dans leur tombeau devant l’éternité ».
« Retiré dans
l’obscurité épaisse de son logement, l’homme eut un sourire de satisfaction.
Pour l’instant, son plan se déroulait à merveille. Il n’éprouvait aucun
remords. Au contraire, il avait vraiment aimé ce qu’il avait fait. (…) Il
s’était découvert puissant, dominateur, invulnérable presque. Il s’était senti
dans la peau d’un lion quand il traque une antilope ».
Marathon rouge sang –
Philippe Paillaud – Editions Cédalion – Octobre 2018
(*)
Escadrons de la mort, l’école française – La Découverte – 2004
« On
ne doit pas tenir rigueur aux enfants des assassins, des crimes de leurs
parents » Robert Badinter
2 commentaires:
Bonjour Ghislaine,
Ah voilà un livre qu'"il faut absolulent que je lise !:))
Car vous en parlez fort joliment, ma foi
Bonsoir Bertrand, je transmets à ma doublure humaine ;-) Cela dit, je tiens à préciser que c'est l'écureuil qui fait tout ^^ Oui, c'est un excellent policier car il va bien au-delà de l'enquête policière, bien écrit et aucune incohérence. Mais chut, pas que l'auteur le sache... Bien à vous, Squiri
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