Une noisette, un livre
La blessure
Jean-Baptiste Naudet
La
blessure. Ou plutôt les blessures. Celles de l’amour, de la guerre, de la
folie. Amour dévasté par la guerre, la guerre et ses folies. Folies des hommes,
folies de l’humanité victime de son inhumanité. Jean-Baptiste raconte, cogne en
essayant de recoller les morceaux même si les fragments de chair de la
boucherie guerrière ne pourront jamais se reformer. Mais l’écrire est un acte cathartique
et un appel à la réconciliation au milieu d’un gouffre.
Danièle,
la mère de Jean-Baptiste sombre dans une déprime que ses proches n’arrivent pas
à expliquer. Pourtant son mari Gilles sait pourquoi mais, pudique, ne veut pas
en parler à son fils. Surtout que ce dernier a décidé de devenir reporter de
guerre. Mais un jour Gilles Naudet décide de raconter et, surtout, de montrer
toute la correspondance entre son épouse et son premier fiancé, Robert Sipière
qui a été aussi le meilleur ami de Gilles. Robert a été tué en juin 1960 en
Kabylie, deux ans avant la fin d’une terrible guerre entre la France et
l’Algérie.
Le
roman oscille sans cesse entre les lettres d’amour envoyées des deux côtés de
la Méditerranée, l’histoire de Robert et Danielle, et la descente aux enfers de
Jean-Baptiste après ses expériences au Kosovo, en Tchétchénie, en Bosnie qui se
juxtaposent avec les fantômes du passé.
Que
de passion partagée entre deux êtres qui espéraient vivre ensemble pour
l’éternité. Mais la guerre, la sale guerre a tout cassé, elle a privé les
lèvres de baisers, les corps de jouissance, les sentiments de s’embellir encore
et toujours. Elle a privé le bonheur d’un couple, elle n’a laissé que douleurs,
chagrins et peines. Avec en prime une balle dans le ventre de Robert et une
agonie de plusieurs heures. Une histoire qui s’ajoute aux milliers d’autres, et
ce, depuis la nuit des temps.
Dichotomie
totale entre la beauté des lettres, les envolées lyriques et la réalité cruelle
d’une guerre pitoyable que raconte avec une force inouïe le journaliste, lui
aussi ayant sombré dans la folie après avoir vécu l’invivable. Car il faut bien
réaliser qu’une guerre ce n’est pas que des bombes, des balles, ce sont aussi
les humiliations, les viols, les tortures, pire que la mort, le plaisir malsain
de martyriser en escaladant les
férocités du supplice.
Les
mots pleuvent en rafales, les phrases déchirent ; l’horreur dans toute son
abomination est relatée sans voile d’avertissement, mieux vaut trancher
carrément dans l’ignominie pour faire jaillir le sang qui a trop coulé, qui a
trop pleuré. C’est superbe en écriture, c’est déconcertant en désolation. Une
vie est unique et depuis que l’homme existe il n’a cessé de vouloir tuer, faire
souffrir son prochain. Dans quel but ? Le bourreau d’hier est souvent la
victime de demain… Dans une aventure belliqueuse plus rien ne compte, les
soldats jouent leur survie, les ennemis de part et d’autres font de même, œil
pour œil, dent pour dent. Loi du talion. Loi fétide.
Mais
ce récit est aussi celui d’une résurrection, ou tout au moins celui de
l’espérance. Après les cris de douleurs, les cris de détresse, c’est un cri
d’amour, un chant aux étoiles bienveillantes, un hymne à la réconciliation. Une
demande de pardon, une partition scripturale pour se mettre à genoux. Le
dernier paragraphe est mirifique de noblesse, à l’instar des mots du père de
Jean-Baptiste. La mémoire de l’écrit pour ne jamais oublier les vies
déchiquetées au nom de l’absurdité des guerres et conflits.
« Chacun a son
Hélène pour laquelle il est prêt à mourir. Ainsi va l’amour, ainsi vont les
guerres ».
« Une société
malade et non elle. Pendant que les psychiatres s’acharnent à trouver une cause
à son mal, elle lui donne un sens : c’est une révolte de son âme et de son
corps. Elle n’est pas une folle honteuse qu’on a enfermée mais une prisonnière
politique fière de sa lutte. Elle n’est pas une aliénée mais la victime d’une
société aliénante ».
La blessure -
Jean-Baptiste Naudet – Editions L’Iconoclaste – Août 2018
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