dimanche 2 janvier 2022

 

Une noisette, un livre
 
Les Flammes de Pierre
Jean-Christophe Rufin
 


Rémy est un sémillant guide de haute montagne : sûr de lui, beau ténébreux, mondain, séducteur et passablement flambeur, adepte des dernières technologies auxquelles il croit dur comme fer. A l’opposé de son frère Julien, alpiniste de renom, qui flirte avec la simplicité absolue. L’un n’aime que la montagne plaisir, l’autre l’abhorre. Le destin de Rémy va progressivement basculer lors d’un rendez-vous professionnel fixé au très sélect Mont-d’Arbois sur les hauteurs de Megève : deux couples de retraités et une jeune femme ont réservé une excursion à partir de Rochebrune. L’un des retraités – tous d’un milieu très aisé – est l’incarnation même de la hâblerie mais c’est vers la femme que se tourne Rémy en ayant pour la première fois l’envie de baisser les yeux de crainte d’être foudroyé par cette beauté olympienne. Rapidement, les deux êtres vont se rapprocher mais cette fois-ci tout est différent : Rémy est tombé éperdument amoureux de Laure. La montagne va être la scène majestueuse de leur histoire à l’image des pics et des roches : magnificence et danger, rugosité et grandeur, risques et fracas, incandescence solaire et tonnerres assourdissants, réalisme et onirisme, pour une métamorphose vertigineuse.

Enfin un roman de montagne loin du voyeurisme de la tragédie ! Romanesque à souhait par un amour qui se déroule à la verticale avec juste ce qu’il faut de mystère ; ce sont des lignes en hommage à sa majesté la pierre sous les flammes des dompteurs alpinistes. Si le personnage de Rémy intrigue, celui de Laure est charismatique : énergique, indomptable, impavide car elle sait tirer profit de la peur, authentique, avec une sensibilité qu’elle réserve au plus profond d’elle-même. Ode à la montagne, ode à la femme.

L’agilité de la plume fait caracoler scènes et descriptions dans une langue qui glisse sur les parois des belles lettres et entraîne le lecteur dans un parcours aux effluves savoyards où défilent le mythique Mont-Blanc, les Aravis, le col des Montets, les Aiguilles Rouges, les Drus pour atteindre l’acmé avec le refuge de la Charpoua.

Comme toujours avec Jean-Christophe Rufin, le visible flirte avec l’invisible. Si on soulève le voile, la transparence des phrases révèlent l’humour – dès l’incipit – le regard de celui qui est toujours médecin – jusqu’à l’hôpital de la Salpetrière – le sibyllin des âmes, l’urgence de ne jamais juger un comportement, la nécessité de sauvegarder la nature et enfin une richesse humaine faisant battre les pages au rythme du cœur.

« Les deux hommes âgés parlèrent à haute voix et rivalisèrent de références sportives. A les entendre, ils étaient l’un et l’autre des skieurs hors pair et alignaient les plus belles descentes de par le monde, de l’Aconcagua au mont Fuji. Sitôt les skis chaussés, ils se montrèrent moins vaillants ».

« Le sol n’avait plus rien à leur dire et c’est l’immense panorama qui aimantait leurs regards. D’où ils venaient, derrière l’abîme sombre et brumeux de la vallée, se dressait le Mont-Blanc, trop loin pour être impressionnant. Tandis que sur l’autre versant, le massif des Aravis tout proche dessinait une gigantesque denture, brillante de glace et comme émaillée. Rémy connaissait le nom de tous ces sommets. Il les avait pour la plupart escaladés. Une ascension accomplie dépose dans l’esprit de curieux souvenirs. On a beau répéter que le sommet lui-même n’a aucune importance, les instants que l’on y passe s’impriment dans la mémoire ».

« Il restait seul à la maison et se mettait face aux programmes les plus stupides de la télévision –  il avait l’embarras du choix. ».

« Il y avait en lui une idée un peu naïve de la justice. Elle lui faisait croire que l’effort est toujours récompensé, que les petits progrès, jour après jour, conduisent à la réussite et au bonheur. C’était une idée de montagnard (…) Les défis de la vie sociale ne se relèvent pas de la même manière. Ils exigent d’autres moyens, plus subtils et moins égalitaires ».

« Il n’y avait pas de montagne plaisir mais seulement la montagne qui réservait, à sa discrétion, le plaisir et la douleur, le merveilleux et le drame, l’effort et le repos, la conscience et l’oubli. Rémy se voyait comme le serviteur de cette divinité aux multiples visages à laquelle la vie l’avait destiné ».

Les Flammes de Pierre – Jean-Christophe Rufin – Editions Gallimard – Octobre 2021

 

 

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