mardi 15 octobre 2019


Une noisette, un livre


Virginia

Emmanuelle Favier




Lire « Virginia » d’Emmanuelle Favier est comme entrer dans un musée ou franchir le seuil de la maison du 22 Hyde Park Gate dans le district londonien de Kensington, là où est née Virginia Woolf, là où elle y a vécu jusqu’au décès de son père. Ou encore dans la maison de vacances des Cornouailles. Car c’est cette enfance que narre l’auteure avec charme anglais et élégance française.

Lire chaque chapitre est comme entrer dans chaque pièce déserte mais avec les effluves intacts de la fin du dix-neuvième siècle. C’est soulever un drap qui protège un meuble, un tableau, un objet. Toucher avec la même délicatesse que l’écrit du récit le rebord d’une fenêtre, ouvrir un volet pour mettre en lumière ce qui a pu féconder l’âme de l’écrivaine britannique. On découvre l’inconnu, on perçoit justement une lueur à travers les persiennes de l’écriture, on hume un parfum après le dépoussiérage de la plume.

Virginia Woolf est née à Londres en 1882, de parents veufs, Leslie Stefen et Julia Jackson, et ayant chacun des enfants des précédentes unions. C’est donc dans une famille, que l’on nommerait de nos jours élargie, que grandit la jeune Virginia avec la transmission de l’amour paternel des livres et de la mélancolie maternelle. La mère décède lorsque Virginia n’a que 13 ans et c’est un tournant vers le début des angoisses et des questions existentielles pour l’adolescente.  

« Virginia » n’est pas la biographie la plus aboutie sur Virginia Wollf, puisque, d’une part, elle se concentre sur uniquement sa jeunesse, et, d’autre part, la forme romancée conduit à quelques emprunts de chemins buissonniers. Pourtant, ce livre se révèle unique et conduit le lecteur dans toutes les dérives de l’âme de l’écrivaine fécondées par les incertitudes, les doutes et les tourments. On peut ainsi supposer que les sources de son suicide ont pris peut-être leurs premiers flots dés l’adolescence, dans cette famille à l’ambiance trop feutrée qui semblait s’envelopper de naphtaline pour mieux repousser les coups du destin.

La forme du récit est assez simple, chronologique, mais elle amplifiée par une écriture remarquable et chaque fin de paragraphe est un enchantement : du boudoir de Virginia c’est une fenêtre qui s’ouvre sur le monde…
Le tout par un ton délicieusement désuet mais qui créé pourtant une biographie terriblement moderne. Et qui, personnellement, incitera votre serviteur à relire Virginia Woolf et enfin apprécier peut-être son œuvre.

« Sans oublier le plaisir, si commun aux dames emmitouflées, de ressasser les malheurs des autres pour mieux parler des siens propres ».

« Les blessures d’orgueil ont parfois des conséquences bibliographiques ».

« Sans cette famille désagrégée où l’on ne dit rien, où l’on ne parle jamais des mortes, où l’on se dissimule l’essentiel au quotidien, où l’on ment sur ce qui importe le plus, dans cette famille où la parole ne se fait jamais balsamique puisqu’elle ne dit jamais ce qui aurait le plus besoin d’être dit, pour tenir le monstre à distance il n’y a d’autre solution que de créer ».

« Dans ces premières écritures adultes elle tente, se relisant, d’entendre sa propre voix et non plus celle de ses parents, des ancêtres, des gènes. Les mots vibrionnent en elle, se cognent aux parois intérieurs qui résonnent, comme un écho de sa propre vacuité ».

Virginia – Emmanuelle Favier – Editions Albin Michel – Août 2019



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