Une noisette, un livre
Sur les traces de George Orwell
Adrien Jaulmes
De
George Orwell, de son vrai nom Eric Arthur Blair, on a l’impression de tout
connaître et pourtant de ne rien savoir. Souvent dénigré de son vivant, il est devenu adulé
depuis sa disparition.
Adrien
Jaulmes publie une biographie de l’auteur britannique qui ravira ses
inconditionnels et ceux qui le sont moins.
Le
choix du journaliste pour décrire le parcours de George Orwell est simple : chronologique, d’Eton jusqu'à l’écriture de
1984. On passe de l’élève médiocre à sa première expérience étrangère en
Birmanie où est présente sa famille. Là, il ressent ses premiers rejets
politiques en découvrant avec écœurement l’impérialisme et la société coloniale, et, écrira son premier roman « Une histoire birmane ». En même temps,
il développe ce don qu’il a pour les langues et apprend l’hindi, le birman et
le dialecte karen. Ce séjour de cinq années marquera à vie George Orwell et
sera la base de son engagement et de son œuvre.
Puis
vient Paris, où l’écrivain va vivre des années de galère et d’extrême pauvreté,
la ville des Lumières étant loin d’être une fête. Il devient plongeur pour un
hôtel de luxe, luxe qui est bien absent dans les pièces plus à l’écart comme
les cuisines.
De
retour en Angleterre, le poste promis s’envole et George Orwell retrouve la
dureté de l’asphalte nocturne. Il se lie d’amitié avec d’autres vagabonds de la
vie. Avec une immersion dans la ville ouvrière de Wigan, il suit les traces
d’un Jack London avec son « peuple de l’abîme » et, pour sa part,
écrira l’essai « Le quai de Wigan ». Il a un profond respect pour les
miniers (Adrien Jaulmes l’approuve complètement vu son expérience
journalistique dans un bassin minier ukrainien) mais le ton qu’il aborde va
déplaire à son éditeur Gollancz, ce dernier n’appréciant pas la critique virulente
envers les intellectuels de gauche. Car, c’est là, la marque de fabrique de
George Orwell : dire la vérité, se moquer du politiquement correct,
décrire en toute objectivité ce qu’il voit, ne suivre aucune directive et
garder sa liberté de penser.
Autre
passage important dans la vie trop brève d’Orwell, son implication dans la
guerre d’Espagne, pas pour couvrir de façon journalistique mais pour se battre
contre le fascisme. Certains marxistes se méfient de lui et il sera incorporé
dans un mouvement plus limité, le POUM. Des décennies plus tard, des photos
seront retrouvées par le célèbre reporter Agusti Centelles.
Orwell
aime se battre et découvre la guerre dans toute sa complexité et ses chemins
nauséabonds (au propre comme au figuré). De l’Aragon, il part à Barcelone et
constate amèrement une guerre civile dans la guerre civile, le camp républicain
se déchirant dans des luttes fratricides. Il déchante, repart en Aragon, est
blessé à la gorge et peu de temps après sera obligé de quitter le territoire
espagnol dans la clandestinité car les communistes accusent l’écrivain d’être
une cinquième colonne fasciste. Son ami de combat, le vaillant Georges Kopp
sera, lui, arrêté, emprisonné et torturé par son propre camp ; mais Orwell
continuera à le soutenir courageusement.
A
partir de ce moment-là, Orwell est transformé et constate que le totalitarisme
de gauche est aussi dangereux que celui de droite. Comme on le dit souvent, les
extrêmes se rejoignent… Et « 1984 » trouvera sa source dans cette
expérience espagnole.
Il
part aux Hébrides pour écrire son roman et bien que fatigué physiquement (il est atteint de tuberculose) et moralement
(il élève seul son fils adoptif, son épouse ayant succombé à un cancer de
l’utérus) il y met toute son âme. Son dernier roman sera une publication posthume et Orwell deviendra
« orwellien ».
Au
fil du récit, Adrien Jaulmes fait des sauts dans le présent pour montrer que
les écrits de George Orwell sont résolument modernes. Mais l’auteur souligne
judicieusement qu’il ne faut pas faire acte de prosopopée. Il suffit de lire et
relire George Orwell. Pour d’abord se glisser dans son univers, dans une autre
époque, et, ensuite, savoir expérimenter ce recul. Ce recul que tout à chacun
devrait avoir dans toute situation et à chaque lecture des
analyses/récits/reportages lorsque soi-même on ne peut être ni juge ni témoin.
Il
est peut-être présomptueux de ma part de penser que George Orwell n’était pas
réellement un visionnaire mais tout simplement un formidable observateur. Sans
aucun a priori. A nous de suivre ses traces…
« L’épisode espagnol, avec la
mise hors la loi du POUM, transformé par la propagande communiste en une
organisation de traîtres à pourchasser impitoyablement inspirera Orwell
lorsqu’il écrit une dizaine d’années plus tard son livre le plus célèbre :
1984. L’effrayante expérience de réécriture de l’histoire par la propagande à
laquelle il a assisté sert de modèle aux activités du ministre de la Vérité où
est employé le héros, Winston Smith. Son commandant d’unité, Georges Kopp,
inspire en partie le personnage d’O’Brien, le faux ami de Smith, et les
tortures qu’il a subi dans les prisons communistes celles infligés au héros de
1984 ».
Sur les traces de George Orwell –
Adrien Jaulmes – Editions Les Equateurs – Octobre 2019
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