Une noisette, un livre
L’œil du paon
Lilia Hassaine
Sur
une île croate, en mer Adriatique à moins d’un millier de kilomètres de la
Grèce, un paon se meurt, de manière impériale comme son nom : Titus. Son
trépas est inexplicable comme ceux d’autres paons de l’île, peut-être une forme
de peste…malgré l’absence totale d’une quelconque infection.
Le
gardien de l’île, Adonis, un très vieil homme semble en désarroi à regarder le
corps sans vie de celui qui fut le souverain de cette terre maudite. En effet,
selon la légende, des moines bénédictins furent jadis chassés de cet éden par
un général de l’armée napoléonienne et trois aristocrates avides de beauté et
de richesses. Avant de partir, les moines jetèrent la malédiction à l’image
d’un Rigoletto désespéré…
Adonis
a une fille, Héra, fruit de ses amours avec feu une superbe Juliette. Inquiet
et voulant la protéger, il exige qu’elle parte à Paris chez sa tante Agathe, la
sœur de Juliette. Ce qu’elle fait. Arrivée dans la capitale française, elle
s’installe chez sa tante et son oncle, un couple énigmatique et parents d’un
petit Hugo qui va trouver en Héra une aile protectrice. Mais de curieux
personnages rodent : Gabriel, l’instituteur pas forcément aussi angélique
qu’il le parait, un couple de pharmaciens et surtout un opticien dont le regard
intrigue. Héra va devenir photographe. Est-ce que son œil remplacera ceux de la
queue du paon… ? Ou bien son âme va-t-elle se transformer en une roue
incontrôlable dans cette ambiance de plaisirs urbains et de
superficialité.
Lilia
Hassaine signe un premier roman absolument éblouissant avec une maîtrise du
temps et de l’espace, du fond et de la forme. Un conte cruel qui tient en
haleine jusqu’au dernier souffle de la plume, plume qui glisse au fil des
pages, ou plutôt, au fil des saisons à l’image d’Adonis et de son Aphrodite de
Juliette.
L’œil
du paon c’est un regard objectif sur la vanité, l’orgueil des êtres qui
n’aiment que pour être valorisés, qui intègrent une société que pour briller en
oubliant de regarder autour d’eux, qui paraissent ce qu’ils ne sont pas, qui
dissimulent et s’exposent en même temps, quitte à se brûler les ailes. L’œil du
paon est donc un cri, mais un cri en forme de chant. De chant du cygne.
Subtilement,
entre les envolées d’Hera dans l’errance de ses rencontres, l’auteure glisse
quelques coups de bec sur la vacuité du monde de l’entre-soi, de la téléréalité
ou émissions assimilées (la télé tire-larmes), sur la manie de faire parler sur
tout dès qu’une célébrité fait bondir les taux d’audience, sur les ombres des
alcôves…j’en passe et des meilleurs.
Il y
a parfois avec certaines fictions des fins qui laissent le lecteur sur sa faim.
Là, rien ne se termine en queue de poisson, le paon nous offre, une dernière
fois, toute la majesté de sa roue. Et ce, sans aucun orgueil dans le texte.
Juste quelques notes sur la partition des nocturnes humaines.
Une
tragédie grecque sous forme de conte mythologique du XXI° siècle.
Fantastiquement réelle, réellement fantastique.
« Il aura fallu que j’arrive en
ville pour me sentir seule ».
« Elle ignorait que le bonheur
pouvait faire verser des larmes à ceux qui savent qu’il est éphémère ».
« Absorbé par cet univers
enchanté, personne ne prête attention au banc juste devant la boutique. Un banc
auquel on a ajouté un accoudoir central, pour éviter que les sans-abris ne
s’allongent dessus. Le monde merveilleux reste ainsi préservé de toute
pollution visuelle ».
« On ne doute jamais autant que
lorsqu’on met son cœur en jeu ».
« Et entrera en piste, sans même
prendre la peine de retirer son pantalon et ses chaussures. Sans se soucier des
pleurs étouffés dans l’oreiller. Parce qu’il y a quelques heures, ils étaient
invités à un vernissage, avec des petits fours qu’ils attrapaient du bout des
doigts, des bonnes manières, et ce petit air précieux et délicat qui cache à
merveille les cris non autorisés des épouses profanées ».
« Sur les plateaux de télévision,
elle était invitée à s’exprimer sur tous les sujets : la ville, la
jeunesse, la cigarette, la sexualité. Un jour elle fut même conviée à débattre
du prix de l’essence, en raison de sa photo de la station-service ».
L’œil du paon – Lilia Hassaine –
Editions Gallimard / Collection Blanche – Octobre 2019
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