Une noisette, un livre
Le parfum d’Irak
Feurat Alani / Léonard Cohen
L’Euphrate,
l’un des fleuves les plus captivants de l’histoire de l’humanité car il a vu,
avec Le Tigre, naître quelques unes des
plus anciennes civilisations de la terre dans ce foyer si riche entre l’Irak et
la Turquie. Euphrate c’est aussi un prénom, Feurat, comme celui du journaliste
qui raconte d’une façon très originale et pertinente la descente aux enfers de
son pays, l’Irak. Il n’y est pas né, mais son cœur y a toute sa place car il
ressent tous les effluves qui remplissent cette terre dévastée. Avant l’odeur
du souffre, des cendres, il y a eut cette glace au doux parfum d’abricot.
Son
histoire corporelle avec l’Irak remonte à l’âge de neuf ans lorsqu’il foule
pour la première fois la terre de ses géniteurs, de ses racines. Son père est
absent car toujours considéré comme personne non grata au sein de la dictature
de Saddam Hussein. En 1989, l’Irak qu’il découvre est encore une terre
relativement calme malgré la longue guerre avec l’Iran son voisin, malgré la
dictature. Il y a encore un doux parfum d’abricot. Mais une année plus tard,
Hussein envahit le Koweit, c’est le début de la fin. Suivront la Tempête du
désert, l’embargo, l’invasion US, le terrorisme…
Feurat
n’est que tristesse face au nouveau parfum qui rampe sur le sol de sa
famille : le parfum de la mort, des vies brisées, des rêves envolés.
Adieu, glaces et autres friandises de l’existence, place aux bombes, aux tirs
de kalash, à la dénonciation, à la paranoïa. Feurat grandit et devient
journaliste parce qu’il faut montrer au monde comment vit un peuple dans la
peur constante de se faire massacrer et de voir ses proches disparaitre dans,
la plupart du temps, des conditions atroces.
« Le
parfum d’Irak » est plus qu’un livre. C’est un document écrit et visuel,
car chaque illustration de Léonard Cohen renforce les mots de Feurat Alani. Des
courtes phrases qui correspondent à des tweets, un style télégraphique sans
aucune recherche de fioritures, du brut pour exprimer la rudesse de la
situation irakienne.
A
l’heure où la situation au Moyen-Orient est encore une fois dans une phase plus
que tourmentée c’est un ouvrage indispensable pour mieux comprendre la
déchirure de cette terre sans oublier le rôle néfaste des embargos, ces
derniers ne faisant que des victimes parmi le peuple…
Feurat
Alani nous plonge sans ambages dans la détresse d’un pays usé/perdu, par un témoignage
empreint d’humilité. Et d’humanité. Là où celle-ci se perd dans la folie de la
violence, de la recherche du pouvoir et de la domination. Pourtant, la vie
étant déjà courte pourquoi les hommes veulent faire oublier les parfums
d’abricot, de cardamone, de thé au profit du souffre des bombes et du goût du
sang ? A l'instar de Feurat Alani, il serait si bon de préférer le parfum de la vie...
« A Mansour, nous
nous arrêtons à un glacier. Je déguste l’une des meilleures glaces de toute ma
vie. Parfum d’abricot. Le parfum de Bagdad. »
« Les meilleures
dattes viennent de Bassorah, autrefois appelée la Venise du Moyen-Orient. La
palmeraie au sud de l’Irak est désormais une déchetterie à ciel ouvert ».
Le parfum d’Irak –
Feurat Alani – Illustrations Léonard Cohen – Editions Nova & Arte Editions
– Octobre 2018
Prix du Livre Albert Londres 2019
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