dimanche 13 octobre 2019


Une noisette, un livre


 Le parfum d’Irak

Feurat Alani / Léonard Cohen




L’Euphrate, l’un des fleuves les plus captivants de l’histoire de l’humanité car il a vu, avec Le Tigre, naître quelques unes  des plus anciennes civilisations de la terre dans ce foyer si riche entre l’Irak et la Turquie. Euphrate c’est aussi un prénom, Feurat, comme celui du journaliste qui raconte d’une façon très originale et pertinente la descente aux enfers de son pays, l’Irak. Il n’y est pas né, mais son cœur y a toute sa place car il ressent tous les effluves qui remplissent cette terre dévastée. Avant l’odeur du souffre, des cendres, il y a eut cette glace au doux parfum d’abricot.

Son histoire corporelle avec l’Irak remonte à l’âge de neuf ans lorsqu’il foule pour la première fois la terre de ses géniteurs, de ses racines. Son père est absent car toujours considéré comme personne non grata au sein de la dictature de Saddam Hussein. En 1989, l’Irak qu’il découvre est encore une terre relativement calme malgré la longue guerre avec l’Iran son voisin, malgré la dictature. Il y a encore un doux parfum d’abricot. Mais une année plus tard, Hussein envahit le Koweit, c’est le début de la fin. Suivront la Tempête du désert, l’embargo, l’invasion US, le terrorisme…

Feurat n’est que tristesse face au nouveau parfum qui rampe sur le sol de sa famille : le parfum de la mort, des vies brisées, des rêves envolés. Adieu, glaces et autres friandises de l’existence, place aux bombes, aux tirs de kalash, à la dénonciation, à la paranoïa. Feurat grandit et devient journaliste parce qu’il faut montrer au monde comment vit un peuple dans la peur constante de se faire massacrer et de voir ses proches disparaitre dans, la plupart du temps, des conditions atroces.

« Le parfum d’Irak » est plus qu’un livre. C’est un document écrit et visuel, car chaque illustration de Léonard Cohen renforce les mots de Feurat Alani. Des courtes phrases qui correspondent à des tweets, un style télégraphique sans aucune recherche de fioritures, du brut pour exprimer la rudesse de la situation irakienne.
A l’heure où la situation au Moyen-Orient est encore une fois dans une phase plus que tourmentée c’est un ouvrage indispensable pour mieux comprendre la déchirure de cette terre sans oublier le rôle néfaste des embargos, ces derniers ne faisant que des victimes parmi le peuple…

Feurat Alani nous plonge sans ambages dans la détresse d’un pays usé/perdu, par un témoignage empreint d’humilité. Et d’humanité. Là où celle-ci se perd dans la folie de la violence, de la recherche du pouvoir et de la domination. Pourtant, la vie étant déjà courte pourquoi les hommes veulent faire oublier les parfums d’abricot, de cardamone, de thé au profit du souffre des bombes et du goût du sang ? A l'instar de Feurat Alani, il serait si bon de préférer le parfum de la vie...

« A Mansour, nous nous arrêtons à un glacier. Je déguste l’une des meilleures glaces de toute ma vie. Parfum d’abricot. Le parfum de Bagdad. »

« Les meilleures dattes viennent de Bassorah, autrefois appelée la Venise du Moyen-Orient. La palmeraie au sud de l’Irak est désormais une déchetterie à ciel ouvert ».

Le parfum d’Irak – Feurat Alani – Illustrations Léonard Cohen – Editions Nova & Arte Editions – Octobre 2018

Prix du Livre Albert Londres 2019




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