lundi 7 octobre 2019


Une noisette, un livre


Errances

Olivier Remaud




Cela aurait pu être un remake des portes de l’enfer de Dante. Ou bien encore un chapitre mythologique chez Hadès suite à une colère de Zeus. Mais c’est le récit romancé de l’explorateur Vitus Bering, connu de tous par le détroit qui porte son nom. Mais aussi une mer, une île et un glacier.
Plus ou moins oublié de la mémoire collective, son destin a soufflé de nouveau lorsqu’au début des années 1990, une expédition a retrouvé le corps de Bering, mort près de la péninsule de Kamtchatka.

De l’enfance dans la ville portuaire d’Horsens au Danemark jusqu’aux flots mortuaires de l’océan Pacifique, c’est une vie tumultueuse et envahie par de nombreux doutes que raconte avec brio Olivier Remaud.

Pour se remettre en tête le contexte de l’époque c’est celle où les puissances ne songeaient qu’à conquérir de nouveaux territoires pour conforter leur pouvoir, la Russie de Pierre le Grand en faisait partie et n’hésitait pas à financer de très coûteuses expéditions, coûteuses pécuniairement mais aussi humainement : la faim, la soif, le scorbut et les vents mauvais faisaient de la Grande Faucheuse la principale accompagnatrice. Mais le courage aussi était l’un des compagnons de voyage et à chaque fois on ne peut qu’être ébahi devant les possibilités de lutte du corps et de l’esprit face à l’adversité. Vitus Bering ne dérogeait pas à la règle même si on perçoit énormément de confusion dans son esprit par rapport aux rigueurs administratives, aux rivalités politiques et à certaines élucubrations des cartographes. Car cette odyssée sibérienne était tout de même pour trouver un nouveau passage pour aller en Chine et en Inde à travers l’océan Arctique.

De cet Ulysse du début du dix-huitième siècle il n’y aura hélas point de retour à Ithaque, point de retrouvailles avec sa Pénélope, la dévouée et fidèle Anna qui avait participé à l’une des expéditions, point de mythologie maritime, sauf des cyclopes prenant la forme de vents noirs. Dans cet enfer climatique et géographique, se détache un autre personnage, celui du naturaliste et biologiste allemand Georg Wilhelm Steller qui fut ainsi le premier européen à fouler la terre d’Alaska.

Un ouvrage à découvrir pour cet hommage rendu à ces marins de toutes les audaces, et, pour la beauté de l’écriture qui fait flotter les mots, naviguer les paragraphes, qui suit l’allure des vents, qui arbore la vaillance en tenant la barre sémantique durant toute cette traversée livresque où la noblesse des sentiments rejoignent non seulement les errances des houles mais aussi des âmes terrestres.

« Il tira de cette mésaventure un certain dégoût pour les ruses qui servaient à accéder au pouvoir. Ses parents ne lui avaient pas inculqué la rouerie. Il appréciait les luxes de la cour. Mais il n’en partageait pas les pires coutumes. Les comportements calculés, l’esprit de coterie, l’excès de déférence, ces traits du courtisan l’indignaient ».

« L’équipage demeura longtemps sidéré par ce tableau inédit. Des autochtones du Kamtchatka leur avaient confié que pour les peuples de l’autre côté de la mer, les aurores boréales étaient les jeux favoris des enfants trépassés. Eux pensaient que des renards espiègles se couraient après depuis des siècles, ou que le souffle des baleines passant dans les étoiles annonçait des changements de temps ».

« Une île se cachait derrière le manteau de brume. C’était une barrière montagneuse érodée, coupée par des petites vallées du nord au sud et battue par une marée insistante. Même les arbres avaient fui son sol.
Elle était nue, déshabillée par les vents, et se tenait là, au milieu de l’océan.
Elle attendait ».

« Lui était capitaine. Sa vie pouvait s’arrêter d’un coup. Un naufrage, une bataille, le scorbut. A la différence des têtes perruquées qui spéculaient depuis leurs chaires, il maniait des quadrants de Davis et connaissait les voies navigables dans plusieurs régions du monde ».

« Prêter au navire une âme qui s’accordait avec celle du capitaine lui semblait nécessaire, sans quoi les réactions de l’un risquaient de contredire les actions de l’autre (…) La navigation s’apparentait en somme à l’art équestre. Le capitaine et le cavalier gagnaient toujours à écouter leur monture avant de choisir un cap ou d’imposer une allure ».

Errances – Olivier Remaud – Editions Paulsen – Septembre 2019


1 commentaire:

Crayon de couleuvre a dit…

Bonjour l'écureuil, quelle aventure !
Très envie de découvrir cet Ulysse des temps modernes et l'écriture d'Olivier Remaud. Je participe à l'expédition avec grand plaisir pour cette noisette surprise.
Merci à toi, à vous, très belle journée et bonne chance à tous.
Crayon de couleuvre :)

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