Une noisette, un livre
Le soleil sur ma tête
Geovani Martins
Geovani
Martins est né en 1991 dans un quartier périphérique, Bangu, à l’ouest de Rio.
A 11 ans il déménage dans une autre favela située au sud de la ville qui longe
des quartiers de luxe. De cette confrontation, de cette différence abyssale,
s’est construit chez Giovani Martins une envie de raconter, ce qu’il a vécu, ce
qu’il a vu, ce qui s’est construit chez lui.
Comme
l’auteur l’exprimait lui-même lors d’une conférence donnée à la Maison de la
Poésie à Paris le 16 octobre 2019 « il a vraiment pris conscience de la
réalité de la société brésilienne avec ce déménagement. J’ai pris conscience
que j’étais pauvre ; avant la richesse je ne la voyais qu’à la télé. A
partir de ce moment là, j’ai commencé à avoir honte et j’ai écrit pour me
sortir de cette honte. La littérature est devenue un potentiel très fort,
l’écriture m’a déculpabilisé tant je finissais par avoir honte d’avoir
honte ».
Le
résultat est que Geovani Martins peut être fier de son parcours. Autodidacte,
il réussit un tour de force littéraire en mélangeant les différentes formes
d’écriture de façon spectaculaire, allant d’un argot extrême à la pureté des
vocables dans un bain de poésie, notamment avec la nouvelle sur le papillon.
Le
lecteur découvre 13 nouvelles aussi différentes les unes des autres et pourtant
avec le même cordon ombilical : la violence et la vie. Dans cet univers
sans limites, la drogue et la violence sont omniprésentes, mais derrière cette
rudesse, ce sont des personnes qui circulent et des cœurs qui battent sans
aucune envie qu’ils s’arrêtent. Chaque nouvelle amène une autre nouvelle avec
toujours le même rythme final, une chute très musicale.
L’autre
particularité est de traverser en quelques secondes de différence de la sérénité
d’un regard sur la plage à une course poursuite périlleuse, d’une odeur florale
à celle de la merde, d’un papillon à un rat, d’un éclat de rire entre potes à
la violence des armes. Et ainsi de suite. C’est une haine endormie, une paranoïa
de circonstance. Une peur du demain, un espoir du surlendemain. Le tout écrit
avec une plume qui dessine une délicate sensibilité dans l’impétuosité des
fracas.
Mention
spéciale au traducteur Mathieu Dosse pour qui travailler le texte du jeune brésilien
a dû être une gageure, pour un résultat époustouflant et qui permet aux
lecteurs français de pouvoir découvrir l’un des deux auteurs les plus vendus
actuellement au Brésil.
Une
polyphonie littéraire à l’image de la diversité d’un peuple et de son histoire, ses histoires.
« Ils devaient
vraiment avoir une dalle de malade. J’avais déjà grillé au moins deux lascars
qui les surveillaient, prêts à leur tomber dessus. Et eux, ils étaient là, à la
fraîche, genre on est à Disneyland. Je parle même pas des bougs camouflés en
honnêtes travailleurs, et qui zieutent, et qui zieutent ceux qui ont la maille
en attendant le bon moment. C’est ça qui me vénèr le plus, gros. »
« Après les coups
de feu, il entra dans un silence et une obscurité différente de toutes celles
qu’il avait connues. Il ne tarde pas à comprendre tout ce qui l’entourait, la
certitude coulait dans ses veines, et il tremblait, exalté. Tout était clair,
il fallait qu’il soit là, oui. C’était sa vie, son histoire. Même s’il était
faible et égoïste, il savait qu’il ne pouvait plus lutter contre l’inévitable.
Avant de s’évanouir, il parvint encore à rêver au jour où il reviendrait là et
inscrirait son nom en séquence sur les deux immeubles. Loki. »
Le soleil sur ma tête –
Geovani Martins- Traduction : Mathieu Dosse – Editions
Gallimard/Collection : Du monde entier – Octobre 2019
Geovani Martins (à droite) et son traducteur Mathieu Dosse à la Maison de la Poésie à Paris le 16 octobre 2019 |
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