Souvenirs d'un médecin d'autrefois

samedi 24 avril 2021

 

Une noisette, un livre
 
Vivre libre
Henry de Monfreid

 


« Homme libre tu chériras la mer » Ce fut avant tout la mer Rouge pour un homme qui murmurait aux yeux du monde.

Titre ô combien évocateur et enivrant, « Vivre libre » est le testament spirituel de Henry de Monfreid, aventurier et contrebandier, amant du désert et de la mer, fumeur d’opium, trafiquant d’armes et écrivain grâce à Joseph Kessel. Ne connaissant pas la peur il traversera près d’un siècle d’histoires et d’aventures pour s’éteindre dans le Berry après avoir marché pieds nus sur les routes les plus dangereuses, essuyé les houles et laissé moult écrits qui sonnent, résonnent avec toute la flamboyance d’un être hors du commun.

Après avoir contracté la fièvre de Malte dans la laiterie familiale qui l’ennuie au plus haut point, il largue les amarres, construit son boutre et part pour la corne de l’Afrique ; il doit gagner sa vie, survivre et se lance dans des métiers plus ou moins légaux. Il passe à travers tout et ne cesse de s’amouracher de cette vie où la liberté se mêle aux dangers. Et gagnera toujours pour terminer sa vie à 95 ans.

Ce nouvel ouvrage paru dans l’indispensable collection « Aventure » créée et dirigée par Patrice Franceschi renferme plusieurs pierres précieuses : une préface d’Arnaud de la Grange qui déjà met le lecteur en pâmoison, puis un entretien de 1975 de l’écrivain voyageur, un questionnaire de Proust et enfin, le plus volumineux, des textes inédits retrouvés par son petit-fils où Henry de Monfreid parle de lui, de ses débuts, de ses voyages, de ses rencontres et, noisette sur le boutre, des nouvelles de la mer Rouge où tout son esprit fantaisiste mais aussi humaniste se révèle. Peu importe ce que d’aucuns ont pu dire sur Henry de Monfreid, le mieux est de lire ses textes, et, de se rendre compte par soi-même combien cet homme épris de liberté et d’évasion avait du respect envers la terre et les peuples (peuple humain, peuple animal, peuple végétal) qui y vivent. Et un courage inébranlable, assumant ses erreurs et gardant une immense humilité pour ses réussites. Humilité quand il parle de son ami Joseph Kessel « Je m’excuse de parler tant de moi-même, mais il le fallait pour rendre hommage à ce trait de loyauté professionnelle, si rare en un monde où la jalousie, comme la mauvaise herbe, étouffe ce qui voudrait fleurir ». Tout est dit et bien dit.

Car la plume de Monfreid est à l’image de ses navigations, elle entraîne sans avoir de destination, elle s’accroche et libère, s’accélère dans l’ivresse, prends une courte pause et repart dans la houle de l’immensité du monde. Tenir ce livre et être hors de tout, sensation d’apesanteur et d’être virtuellement transporté sur les bords de la mer Rouge ou les hauts plateaux de cette corne d’Afrique, berceau de l’humanité et qui fait de la vallée du Rift la plus précieuse destinée livresque à défaut de pouvoir porter ses pas sur les traces de Lucy et de ses descendants.

Vous allez dire que je prêche pour ma paroisse mais quelle émotion que de découvrir le texte « Serpent de Cheikh Hussein » qui a pour protagonistes Aïcha une bergère éthiopienne qui a son fils Hussen sauvé par les animaux après avoir elle-même sauvé le petit d’une guenon et un peuple très particulier, les Toboguellé qui sont… des écureuils terrestres, certainement du type Xerus erythropus. Un conte merveilleux qui met en valeur les animaux plutôt que les hommes mais avec toute la bravoure des âmes humaines qui savent rester fidèle aux principes de la nature et de l’authenticité.

« La mer et le désert laissent en l’esprit de ceux qui savent voir et comprendre, l’inconsciente nostalgie de leur pérennité ».

« Si chez nous maître Renard est le héros malicieux de tant de contes et de fables, dans le folkore de l’Afrique Noire, Toboguellé n’a rien à envier, à cette différence près que ce gentil écureuil de terre est aussi bienfaisant et loyal que notre Renard passe pour nuisible et trompeur ».

 « Vous ne pouvez pas imaginer combien on peut aimer une bête aussitôt qu’on sent la confiance, cette confiance sans borne, sans arrière-pensée, dont seuls les animaux sont capables ».

« Bien souvent on a tort de ne pas tenir compte de la logique du peuple et on va à la catastrophe en négligeant ou en dédaignant de lui faire comprendre. C’est ce tact qu’on n’enseigne pas dans nos écoles où l’on prétend fabriquer des chefs, sans avoir d’abord fait des hommes ».

Vivre libre – Henry de Monfreid – Préface d’Arnaud de la Grange – Editions Points – Avril 2020

 

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