Une noisette, un livre
Ils voyagèrent dans des pays perdus
Jean-Marie Rouart
Si le nez de Cléopâtre eût été plus cout, la face du monde aurait changé. Et si le Maréchal Pétain était parti à Alger en novembre 1942 après l’invasion de la zone libre, est-ce que le cours de la guerre eût été modifié ? Que serait devenu le Général de Gaulle ? A partir d’une confidence authentique de Charles de Gaulle adressée à son aide de camp sur l’hypothèse d’un revirement de Pétain, l’académicien Jean-Marie Rouart a imaginé un conte burlesque où des personnages caracoles sur des hautes cimes, et pas seulement celles du Tadjikistan.
Le 11 novembre 1942, une dépêche tombe qui met le monde encore plus en ébullition : Pétain rejoint les Américains à Alger ! Roosevelt et Churchill jubilent, De Gaulle est proche du suicide. Après l’échec de Dakar, c’est un nouveau coup de Jarnac ! Stanilas, l’ordonnance du Général, beau garçon et avec des velléités de devenir écrivain, est en pâmoison devant son Maître. Cela tombe bien car il fera partie d’un équipage sur le sinistre Destiny – rebaptisé cercueil flottant – après la décision de Charles De Gaulle de partir vers un destin que lui seul semble connaître après avoir rencontré une princesse polonaise, l’épouse du colonel Sablonski exécuté à Katyn par les Russes, qui est une voyante hors pair.
Selon Epictète « il ne faut pas lier un navire à une seule ancre, ni une vie à un seul espoir ». Avec ce radeau qui semble être une copie conforme de celui du Méduse – là un désastre non semblable à Mers el-Kébir dans le sempiternel match France/Angleterre – c’est une citation prise presque à la lettre par le Commandant Le Gloarec et le futur chef d’Etat français : munitions en nombre pour un casting prestigieux : Raymond Aron, Maurice Druon, Joseph Kessel, quelques belles dames et des marins aux très long cours ; une embarcation de tous les dangers, de tous les espoirs. Seulement, rien ne se déroulera comme prévu – reste à savoir de toute façon si quelques chose était organisé – et dans une suite totalement foutraque le lecteur se retrouve embarqué vers vingt mille lieux sur mer et sur terre, de la mer de Barents jusqu’en Ouzbékistan en passant par le domaine d’Iasnaïa Poliana.
Tours et détours avec pour guides personnages imaginaires et figures historiques, dont le trio De Gaulle, Churchill et Staline, qui en prennent chacun pour leur grade, même si au rayon de la causticité verbale et l’envoi de fléchettes délicatement empoisonnées les intellectuels sont une cible quasi jouissive de la part de Jean-Marie Rouart. Jeff Kessel reste hors de portée, invincible avec son devin de chien Tirésias et devient le héros de cette histoire aussi fantasque que croustillante. Sans oublier les arabesques sensuelles des ladies pour faire virevolter les gentlemen – excepté un général toujours aussi sobre dans le maniement de l’épée – et même les envoyer jusque dans les mystères du fang-chung…
Drôle, divertissant, une uchronie cascadant sur des fantaisies et quelques divins mensonges, c’est léger et savant, historique et abracadabrantesque. De source sûre, il parait que le jour de la sortie de ce roman, des rires célestes s’élançaient d’un fauteuil 12 sous les voutes d’une coupole immortelle…
« Depuis que quelques hominidés audacieux avaient quitté la vallée du Grand rift et les terres rouges de l’Afrique à la poursuite de nouvelles subsistances ou simplement de rêves, c’était le destin des hommes de s’explorer eux-mêmes en explorant le monde ».
« Tout était donc réuni pour que ce fût une aventure pleine d’ombres et de lumières et qu’on y rencontrât, par conséquent, le meilleur qui n’existe que parce qu’il y a aussi son double : le pire ».
« Voltaire écrivait sur le « galimatias double » : celui qui lit le texte ne le comprend pas, mais celui qui l’a écrit ne semble pas non plus avoir saisi ce qu’il voulait dire ».
Jean-Marie Rouart – Ils voyagèrent vers des pays perdus – Editions Albin Michel – Janvier 2021
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