Une noisette, un livre
Varsovie – les Lilas
Marianne Maury Kaufmann
Vertige
– Silence – Parole – Marche – Bus – Fuite
Des
mots qui s’enchaînent, reviennent, s’accumulent. Ils semblent tous tourner,
partir et revenir, s’arrêtent pour en prendre d’autres en route, comme un bus
roulant sur l’asphalte parisien. Comme celui de la ligne 96, celui le Porte des
Lilas et qui tous les jours transporte une dame venant de Varsovie.
Francine,
née Edda en 1939 en Pologne. Déjà on devine que sa petite enfance n’a pas été
une vallée semée de jouets et de rêves. Très tôt, c’est le ghetto de Varsovie,
placée au hasard des évènements, la séparation avec sa mère qu’elle retrouvera
en avril 1945, tel un spectre revenant du pandémonium de la Shoah. Jamais la
mère ne racontera, plus tard sa fille Francine fera du silence son seul
compagnon. Malgré feu son mari Jean, malgré sa fille Roni. Son seul but est
d’avoir marché dans les rues de Paris pour fuir. Arrivée vers le crépuscule de
sa vie, c’est le bus qu’elle prend tous les jours, c’est dans ce bus qu’elle
vit la plupart du temps comme pour tuer ce dernier. C’est là qu’elle va
rencontrer Avril et qu’elle surnomme la Bougie. Peut-être parce que ces braises
humaines qui s’éteignent lui ressemblent en dépit de la différence d’âge :
elle semble fuir, évoluer dans un monde stérile et n’émettre que des ondes
négatives. L’attirance pour le néant comme pour se conforter d’avoir en face le
miroir de sa vie.
Un
roman excessivement touchant sur la solitude et sur ces personnes qui s’enferment
dans leur coquille en refusant d’exprimer les blessures qui déchirent leur âme.
Ces personnes qui paraissent se conforter en ne prêtant attention qu’à la
négativité des êtres pour encore s’enfoncer chaque jour davantage dans le
précipice croyant pouvoir ainsi gravir des sommets de renaissance. Pourtant, le
récit est loin d’être sombre car même dans l’obscurité des lignes, jaillit une
petite lumière qui pourrait bien prendre progressivement un souffle solaire.
C’est
aussi une fine radioscopie de ces vies qui déambulent chaque jour autour de
nous, des visages que nous croisons, parfois un regard qui s’échange dans
l’anonymat le plus absolu. Des impressions qui se forment dans nos esprits sans
connaître les uns et les autres, pourquoi l’un rit, pourquoi l’autre se désole.
Des histoires derrière chaque ombre et parfois celle que l’on croyait bien
obscure peut s’avérer, un jour, être l’aube d’un nouveau chemin.
« Ils ont aussi
compris que son nulle part, elle y va seule ».
« Et maintenant,
voilà qu’on lui fait signe de la main, depuis une vitrine ! Elle
s’approche, lentement : c’est un mannequin, un mannequin qui hèle les
promeneurs de son bras maigre, un mannequin exsangue dont la pâleur est
sublimée par un total look réveillon, plumes en strass. Francine prend un coup
au cœur. La solitude a plus d’un tour dans son sac ».
« Au rythme de la
musique, elle explore maintenant tout son bras, suivant le tracé d’une veine.
Tout doucement, elle réveille sa peau et remonte vers le pli du coude, tandis
que les notes entêtées et lentes, l’escortent. Elle frôle son épaule, la
clavicule, le cou où bat une artère, et lentement, elle va à la rencontre des
larmes qui coulent sur ses joues ».
Varsovie-les Lilas –
Marianne Maury Kaufmann – Editions Héloïse d’Ormesson – Janvier 2019
Livre lu dans le cadre
du Prix Orange du Livre 2019
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