Une noisette, un livre
Le huitième soir
Arnaud de la Grange
Dien
Bien Phu. 1954. Rien du merveilleux de la majesté d’Angkor, nous sommes dans
l’Indochine du XX° siècle, loin de l’empire Khmer. C’est le théâtre de la
dynastie des bombes, des attaques, des tueries, de la mort. Au milieu de ce
pandémonium, surgit un lieutenant, presque son spectre, qui sait pertinemment
quel sera son destin.
Pourquoi
est-il engagé dans cette bataille ? En aucun cas pour amour de la patrie,
il n’y a aucune crédulité chez le narrateur mais l'amour de l'humain certainement.
Il refuse toute idée de confort et ne veut pas voir un nouveau chaos se
profiler comme quelques années auparavant dans l’Europe des années 40. Et puis,
il a ce besoin viscéral du déracinement pour ne pas risquer de s’enraciner.
S’ajoute
un terrible accident avec la souffrance subit qui appelle à conserver une dureté dans
l’existence. Ce combat sans issue est une mise à l’épreuve, se retrouver dans
les miroirs des corps cassés et des âmes
en errance.
Pendant
huit jours, il raconte chaque instant, du temps présent ou du temps passé.
Entre les balles qui pleuvent, les cratères se transformant en tombeaux
éternels, le narrateur plonge dans son passé et regarde cette vaillance des
hommes autour de lui. De la bravoure de sa mère face à la maladie incurable
jusqu’au dernier geste solidaire d’un compagnon de guerre, ce sont dans les
moments les plus cruels que la dignité humaine sort ses plus beaux atouts. C’est
quand il faut lutter que l’artificiel s’envole pour que seule l’authenticité
subsiste.
Il
songe à son ancienne fiancée et rêve à cette étrange cavalière sans monture,
Pauline, qui permet de se détacher sur plusieurs pages de l’univers sanglant et
de se plonger dans la volupté des couples.
Puis,
arrive le huitième soir. Nous sommes le 7 mai 1954…
Contre
toute attente dans cette obscurité, une lumière indescriptible traverse de part
et d’autre ce roman grâce à la splendide écriture : la beauté nargue
l’horreur, la sensualité se fraye une place au milieu du chemin des morts.
Ce
qui est frappant, c’est la force avec laquelle Arnaud de la Grange narre
comment une guerre peut aussi mettre en valeur toute l’humanité de
l’inhumanité, mettre un cœur pendant que les pierres pleuvent, mettre des
caresses dans le bain de sang, glisser quelques notes de musique dans le fracas
des explosions.
Véritable
manifeste pacifiste, ce récit qui est proche du document, pose aussi les
questions sur cette dichotomie entre ceux qui font la guerre avec courage et
ceux qui la déclarent avec lâcheté.
Tableau
scriptural de l’homme dans toutes ses contradictions, l’homme capable du
meilleur comme du pire, mais aussi, celles de chaque individu comme ce
jeune lieutenant qui semble ne pas avoir un comportement spécialement
ordalique et pourtant quelque chose de sibyllin le pousse à mettre sa vie en
danger, comme si fuir sa tranquillité pouvait avoir une prise sur le destin.
Humainement
terrible. Terriblement humain. Un huitième soir qui par sa tragédie peut donner
une promesse sur l’aube de la paix.
« Cette guerre
traîne depuis huit ans, au mieux dans l’indifférence, au pire dans l’hostilité
de la métropole. Notre sort n’intéresse pas, ou il rebute. Les politiques ont
fait ce qu’ils savent le mieux faire, décidant de ne rien décider et se
défaussant sur le haut commandement ».
« Le clavier d’un
piano est une allégorie de la vie, avec beaucoup de touches blanches, longues
et claires, et quelques autres, plus petites et plus sombres. Le bien et le
mal, avec lesquels toute mélodie doit composer. »
« La lumière
s’embellit de son jeu avec l’obscur ».
« Je n’aime guère
ceux qui chassent en meute, sans avoir le courage de courir seuls. »
« Un chef aime bien
avoir la supériorité du verbe. Rien n’agace plus qu’un subordonné qui sait
parler et écrire. »
« D’une phrase
comme d’un tableau, on peut ressentir la beauté même si l’on n’en perçoit pas
tout le sens. »
« Il y a des heures
qui ne reviennent jamais mais on ne le comprend qu’après. On ne vit qu’une fois
auprès d’une mère qui se meurt. »
Le huitième soir –
Arnaud de la Grange – Editions Gallimard – Mars 2019
Prix Roger Nimier 2019
Prix Roger Nimier 2019
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