Une noisette, une interview
Boris Bergmann
Le 25
septembre dernier, le jeune auteur Boris Bergmann entrait dans la cour des
grands en recevant, avec l’Arc de Triomphe en arrière plan, le 43° Prix Littéraire de la Vocation créé par
la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet. Son roman Nage libre a
ému le jury tant pour l’écriture que pour l’histoire de cette amitié dans une
banlieue oubliée, déchirée.
Interview
entre deux noisettes pour mieux connaître cette plume d’avenir.
Avant toute chose, félicitations pour être le lauréat du Prix Littéraire de la Vocation, cuvée 2018. Quelle a été votre première
réaction et que signifie pour vous cette reconnaissance ?
De la
joie ! Quel beau prix, qui a récompensé des jeunes devenus grands.
D’ailleurs, voir présents lors de la remise, de nombreux anciens lauréats
montre l’attachement que les auteurs ont pour ce prix de qualité.
« Nage libre » est à la fois un
récit sur l’amitié et sur l’inexistence des êtres. Avez-vous voulu mettre en
lumière cette dichotomie ou bien avez-vous puisé bien au-delà ?
Je
crois que l’amitié — si pure qu’elle en devient presque amour — permet
l’existence. Sans cela, on est seul, on disparaît, on se dilate. L’amitié pour
Issa, mon personnage principal, c’est la bouée, la lumière de l’espoir fou.
C’est un possible poétique, sommet enfin atteignable. Par elle : il
devient être et corps. Il devient lui même.
Un élément revient sans cesse et il est même
le catalyseur du roman : l’eau. D’abord, êtes-vous un nageur hors-pair et,
ensuite, cette renaissance du personnage principal, Issa, est-elle uniquement
possible par ce « premier enfant de la nature » ?
Nager
fait partie de ma discipline intime : je nage avant d’écrire. Ça me vide
la tête, ça me met en condition pour ne penser à rien d’autre.
Pour
Issa, l’eau devient l’élément qui sauve : né dans un milieu difficile
(confiné, spatialement et mentalement), il découvre un espace libre au sens le
plus pur. Il peut bouger à travers les dimensions, mouvoir son corps, regarder
sans frontière, découvrir les autres et se découvrir. L’eau devient le lieu de
sa renaissance.
Un terme particulièrement fort retient
l’attention, celui de « licence de mépris avec mention » pour ces
banlieues oubliées. Quelque chose qui interpelle et pensez-vous que la fiction
peut de plus en plus faire comprendre la réalité ?
Faire
comprendre, je ne sais pas. Montrer différemment, changer le point de vue, par
les mots. La société et ses sbires — médiatiques, politiques, économiques —
usent les mots, en salissent le sens. C’est à l’écrivain, je crois, de leur
redonner leur force. Et également leur innocence. En montrant ce que le réel ne
veut pas voir, ce que le réel veut enfouit, oublie, efface. Il faut amener le
regard au delà.
L’apatridie peut-elle être considérée comme
au-delà d’un terme de déracinement administratif, être une appellation pour
tout être perdu, non seulement géographiquement mais aussi par ses gênes, une
isolation… ?
Tout à
fait ! Issa est apatride en lui même : il est mal à l’aise,
intimement et face aux regards des autres. C’est un drame qui traverse de
nombreux êtres, souvent jeunes. Il faut alors prendre le temps de se
comprendre, de se trouver. Chacun son rythme, ce n’est pas une course. Le
chemin en soi peut être périlleux, escarpé. Mais, à terme, le résultat demeure
identique : s’ouvrir.
Que représente l’amitié pour vous ? Est-ce
un animal qui paît à deux, comme l’avait souligné Plutarque ?
L’amitié
est un résidu essentiel de l’enfance sauvage, parfois naïve, parfois cruelle,
souvent essentielle. Comme un peu d’instinct animal, de temps suspendu qui
perdurent en moi. Etre ami, et donc aimer, permet je crois d’échapper au temps
adulte, qui file et se fait sentir à travers les conséquences de nos actes.
Ainsi, dans le temps plus lent, plus langoureux de l’amitié, on retrouve le
souffle commun qui propage l’espoir : l’espoir de faire des choses.
Vous venez de passer un an à la Vila Médicis,
quelle expérience en tirez-vous ?
Une
année fertile, pleine de projets. Une année libre, par le temps suspendu. Une
année gorgée, de couleurs et de soleils. Je suis tombé amoureux de Rome, ville
d’un autre monde : à la fois impérial et provincial. J’ai pu avancer sur
un nouveau roman, mais aussi élaborer d’autres idées : des poésies, du
théâtre… C’est rare un an dédié à la création libre. C’est rare et très
précieux.
A 15 ans vous avez écrit votre premier roman
qui n’est pas passé inaperçu, notamment aux yeux de Frédéric Beigbeder qui vous
a remis le Prix de Flore du Lycéen. Quelle marmite vous a donné cette
vocation ?
En moi
je sens la vocation absolue, c’est à dire la nécessité. Déesse aussi violente —
ça fait mal, parfois, d’écrire — que douce — car cela procure aussi le grand
bien. C’est pour ça que je continue, toujours, à faire. Ce qui m’anime, me
pousse, c’est le prochain livre.
Justement, quels sont vos prochains projets
d’écriture ?
Un
recueil de poésies. Et un roman sur le fanatisme — vaste sujet qui m’obsède…
Pour mieux vous connaître, le traditionnel
questionnaire de la noisette :
-
Un titre de roman
pour vous définir : L’éducation sentimentale
- L’ouvrage que vous auriez aimé écrire : Une saison en enfer
- Vos mots préférés : poulpe, insoupçonnée,
cœur, mouvant
- Un personnage : l’alpiniste poète du Mont Analogue
- Un écrivain : Balzac
- Un film : Mauvais Sang de Leos Carax
- Une musique : les messes électriques de Marcus Mixx
- Une peinture : Caravage
- Une photo : du vieux Belleville, le quartier de mon
enfance, par Willy Ronis
- Un animal : mon chat Ulysse qui me manque
- Un dessert : une crème brûlée
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