mardi 16 octobre 2018


Une noisette, un livre


 Chien-loup

Serge Joncour




Un roman qui pourrait être situé entre chien et loup, cette demi pénombre entre le jour et la nuit, « inter canem et lupum » ; juste assez de lumière pour voir la beauté, juste assez de crépuscule pour deviner les ombres de l’existence, de celle qui est à la base de tout : la nature. Jamais l’homme ne pourra totalement la contrôler, elle reprendra ses droits. C’est une loi qui concerne tous les êtres vivants dans sa définition la plus large. L’Homo Sapiens ne pourra que constater que les plus forts gagnent souvent au détriment des plus faibles. A lui d’apprivoiser, de comprendre, de respecter. A lui de reconnaître que les nuisibles ne sont pas forcément ceux que l’on croit. A lui de maîtriser ses peurs.  A lui d’ouvrir les yeux et de regarder l’invisible. 

Pratiquement un siècle sépare les deux récits que Serge Joncour fait chevaucher avec une maîtrise de thaumaturge, une superposition qui gravite autour d’un mont quasi inaccessible, théâtre d’une histoire d’un dompteur et ses fauves pendant la première guerre mondiale, et, d’une autre histoire, de nos jours, d’un couple louant cette maison haut-perchée, détachée du monde, pour vivre une expérience hors du temps dans  l’espace de la ruralité lotoise.

Lise désire se séparer un peu de la civilisation, tenter une nouvelle expérience au milieu de la nature, être déconnectée de tout. Elle entraîne son mari Franck sur ce nouveau chemin initiatique, non sans mal ; de savoir que son téléphone sera muet lui donne des palpitations. La vieille maison qu’ils découvrent renferme des secrets prenant source durant la sanguinaire première guerre mondiale. En 1914, les hommes sont envoyés sur le front et même si le Lot se trouve géographiquement loin de ces tueries, le sentiment envers l’ennemi est puissant. De voir qu’un dompteur allemand séjourne là-haut avec ses fauves provoque tensions, rumeurs et colère. Un mystère qui sera peu à peu découvert par Franck grâce à l’arrivée inattendue d’un personnage (oui, on peut le définir ainsi) : un chien-loup sans collier.

On parcourt le livre comme un sentier totalement inconnu, curieux de savoir comment chaque destin va s’entrecroiser au milieu des nombreuses métaphores glissées sur le terrain, comme celle, entre autres, des associés de Franck et les prédateurs des temps modernes, Amazon, Netflix… Très séduisant également, le personnage de Joséphine, cette femme de médecin, veuve de guerre et dont la classe irradie chaque regard, souvent avec admiration, parfois avec jalousie, surtout lorsqu’elle va s’engager à surveiller les brebis à quelques mètres du repère de Wolfgang…quelle délicatesse que ces mots sur le travail de la terre et l’érotisme du corps de la jeune femme.

Quant au chien, on le devine dans la transparence des pages, honnête, brave, fidèle, valeureux. Un hommage au plus beau compagnon de l’homme ; pas une conquête mais un ami, un allié. Car qui conquiert qui ? Difficile de le dire tant l’un comme l’autre se complètent et apprennent mutuellement. Ce chien sans nom, énorme, c’est un museau qui pointe, un aboiement qui transperce, un regard qui brille, des oreilles qui remuent, un instinct qui émerveille. A travers lui défile toute la nature et toutes les questions qui en découlent sur son écosystème, mais l’auteur prend garde à ne jamais donner une réponse directe, le seul constat est que cette dame est une déesse et qu’il vaudrait mieux ne pas trop la contredire… Un hymne de sensibilité avec une patte tendue vers les incroyables gênes des destinées. Destinées humaines, animales, végétales…

« Au village on disait que Joséphine faisait exprès de jouer le dimanche matin. Toujours cette atavique tendance à prêter des mauvaises intentions à ceux qui ne font pas comme les autres. »

« La médisance, c’est ce renard toujours là à roder autour des maisons, toujours à traîner du côté des hommes, sûr de trouver quelque chose à se mettre sous la dent. »

« L’image que Franck se faisait d’Amazon et Netflix, c’était celle de deux prédateurs mille fois plus gros que tout le monde, avec un appétit sans limite, deux super-prédateurs qui comme les loups régulent l’écosystème en éliminant d’abord les proies les plus faibles, les plus petites, les plus vulnérables, avant de s’imposer comme les maîtres absolus du jeu. »

« Elle remonta sur son cheval qu’elle avait attaché à l’écart et se retira, aussi vexée qu’amère, aussi blessée qu’on peut l’être lorsqu’on réalise que le monde méprise nos états d’âme et que la vie nous attend ailleurs, en bas, là où il n’y a ni passion ni désir, là où il n’y a que la peur et le travail, l’angoisse d’un monde ayant basculé du côté de la guerre pour une éternité. »

« Elle découvrait à quel point il est rare et précieux de n’exister que par soi-même et de ne plus être atteinte par le regard des hommes. »

« Ce grand chien loyal, il devrait peut-être l’envisager comme un allié, un vrai allié celui-là, pas comme les deux autres, un allié fiable qui serait réellement prêt à l’épauler, au point même de fomenter un stratagème avec lui, un genre de parfaite revanche en forme de piège pour les coincer, ces deux connards, faire de ces deux chasseurs deux belles proies. »

Chien-loup – Serge Joncour – Editions Flammarion – Août 2018

P.S. Votre serviteur a eu quelques frayeurs vers les pages 375/376 mais tout est bien qui finit bien…

Serge Joncour à la Maison de la Poésie le 20/09/2018


1 commentaire:

MistiCat a dit…

Merci pour cette très belle chronique !
Tu me donnes très envie de lire ce roman !

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...