Une noisette, un livre
Chien-loup
Serge Joncour
Un
roman qui pourrait être situé entre chien et loup, cette demi pénombre entre le
jour et la nuit, « inter canem et lupum » ; juste assez de
lumière pour voir la beauté, juste assez de crépuscule pour deviner les ombres
de l’existence, de celle qui est à la base de tout : la nature. Jamais
l’homme ne pourra totalement la contrôler, elle reprendra ses droits. C’est une
loi qui concerne tous les êtres vivants dans sa définition la plus large.
L’Homo Sapiens ne pourra que constater que les plus forts gagnent souvent au
détriment des plus faibles. A lui d’apprivoiser, de comprendre, de respecter. A
lui de reconnaître que les nuisibles ne sont pas forcément ceux que l’on croit. A lui de maîtriser ses peurs. A lui d’ouvrir les yeux et de regarder l’invisible.
Pratiquement
un siècle sépare les deux récits que Serge Joncour fait chevaucher avec une
maîtrise de thaumaturge, une superposition qui gravite autour d’un mont quasi
inaccessible, théâtre d’une histoire d’un dompteur et ses fauves pendant la
première guerre mondiale, et, d’une autre histoire, de nos jours, d’un couple
louant cette maison haut-perchée, détachée du monde, pour vivre une expérience
hors du temps dans l’espace de la
ruralité lotoise.
Lise
désire se séparer un peu de la civilisation, tenter une nouvelle expérience au
milieu de la nature, être déconnectée de tout. Elle entraîne son mari Franck
sur ce nouveau chemin initiatique, non sans mal ; de savoir que son
téléphone sera muet lui donne des palpitations. La vieille maison qu’ils
découvrent renferme des secrets prenant source durant la sanguinaire première
guerre mondiale. En 1914, les hommes sont envoyés sur le front et même si le
Lot se trouve géographiquement loin de ces tueries, le sentiment envers
l’ennemi est puissant. De voir qu’un dompteur allemand séjourne là-haut avec
ses fauves provoque tensions, rumeurs et colère. Un mystère qui sera peu à peu
découvert par Franck grâce à l’arrivée inattendue d’un personnage (oui, on peut
le définir ainsi) : un chien-loup sans collier.
On
parcourt le livre comme un sentier totalement inconnu, curieux de savoir
comment chaque destin va s’entrecroiser au milieu des nombreuses métaphores
glissées sur le terrain, comme celle, entre autres, des associés de Franck et
les prédateurs des temps modernes, Amazon, Netflix… Très séduisant également,
le personnage de Joséphine, cette femme de médecin, veuve de guerre et dont la
classe irradie chaque regard, souvent avec admiration, parfois avec jalousie,
surtout lorsqu’elle va s’engager à surveiller les brebis à quelques mètres du
repère de Wolfgang…quelle délicatesse que ces mots sur le travail de la terre
et l’érotisme du corps de la jeune femme.
Quant
au chien, on le devine dans la transparence des pages, honnête, brave, fidèle,
valeureux. Un hommage au plus beau compagnon de l’homme ; pas une conquête
mais un ami, un allié. Car qui conquiert qui ? Difficile de le dire tant
l’un comme l’autre se complètent et apprennent mutuellement. Ce chien sans nom,
énorme, c’est un museau qui pointe, un aboiement qui transperce, un regard qui
brille, des oreilles qui remuent, un instinct qui émerveille. A travers lui
défile toute la nature et toutes les questions qui en découlent sur son
écosystème, mais l’auteur prend garde à ne jamais donner une réponse directe,
le seul constat est que cette dame est une déesse et qu’il vaudrait mieux ne
pas trop la contredire… Un hymne de sensibilité avec une patte tendue vers les
incroyables gênes des destinées. Destinées humaines, animales, végétales…
« Au village on
disait que Joséphine faisait exprès de jouer le dimanche matin. Toujours cette
atavique tendance à prêter des mauvaises intentions à ceux qui ne font pas
comme les autres. »
« La médisance,
c’est ce renard toujours là à roder autour des maisons, toujours à traîner du
côté des hommes, sûr de trouver quelque chose à se mettre sous la dent. »
« L’image que
Franck se faisait d’Amazon et Netflix, c’était celle de deux prédateurs mille
fois plus gros que tout le monde, avec un appétit sans limite, deux super-prédateurs
qui comme les loups régulent l’écosystème en éliminant d’abord les proies les
plus faibles, les plus petites, les plus vulnérables, avant de s’imposer comme
les maîtres absolus du jeu. »
« Elle remonta sur
son cheval qu’elle avait attaché à l’écart et se retira, aussi vexée qu’amère,
aussi blessée qu’on peut l’être lorsqu’on réalise que le monde méprise nos
états d’âme et que la vie nous attend ailleurs, en bas, là où il n’y a ni
passion ni désir, là où il n’y a que la peur et le travail, l’angoisse d’un
monde ayant basculé du côté de la guerre pour une éternité. »
« Elle découvrait à
quel point il est rare et précieux de n’exister que par soi-même et de ne plus
être atteinte par le regard des hommes. »
« Ce grand chien
loyal, il devrait peut-être l’envisager comme un allié, un vrai allié celui-là,
pas comme les deux autres, un allié fiable qui serait réellement prêt à
l’épauler, au point même de fomenter un stratagème avec lui, un genre de
parfaite revanche en forme de piège pour les coincer, ces deux connards, faire
de ces deux chasseurs deux belles proies. »
Chien-loup – Serge
Joncour – Editions Flammarion – Août 2018
P.S. Votre serviteur a eu quelques
frayeurs vers les pages 375/376 mais tout est bien qui finit bien…
Serge Joncour à la Maison de la Poésie le 20/09/2018 |
1 commentaire:
Merci pour cette très belle chronique !
Tu me donnes très envie de lire ce roman !
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