mercredi 17 octobre 2018


Une noisette, un livre


 Et boire ma vie jusqu’à l’oubli

Cathy Galliègue




Un être cher qui est part pour toujours, un enfant auquel on se rattache le plus fortement possible, une bouteille, puis une autre et encore une autre pour s’enfuir de la cruelle réalité et une amie imaginaire qui a existé et à qui la narratrice raconte tout, parce qu’elle aussi souffrait, buvait, s’échappait : Françoise Sagan.

Que d’émotions à la lecture de ce nouveau roman de Cathy Galliège. Betty, maman d’un petit garçon, Raphaël, semble mener une vie tranquille dans la journée malgré le malheur qui s’est abattu sur elle. Mais le soir, quand elle est seule, elle retrouve son compagnon du désespoir : l’alcool. Elle ne peut plus s’en passer depuis le décès accidentel de son mari Simon, l’amour de sa vie. A cette tristesse immense, s’ajoute l’absence d’une mère qui a mystérieusement disparu lorsque Betty avait 10 ans. Son père peut lui apporter un peu de réconfort malgré les mots qui ne viennent pas, la honte qui l’entoure à picoler pour oublier, pour ne plus penser.

Par une écriture très personnelle, l’auteure exprime toute la souffrance d’un être qui se retrouve seul, sans cet amour infini. Un amour  qui pourtant, au départ, semblait impossible car l’héroïne refusait de tomber amoureuse, elle ne recherchait que des amants sans lendemain ou surlendemain. Elle rejetait cet amour, ne voulait pas le prendre dans ses bras, de peur de trop en dépendre, de trop en souffrir. De trop aimer.
Mais elle aimera son Simon, l’idéal de son adolescence retrouvé, elle l’aimera de toute son âme, de toute sa peau. Alors face au malheur, elle boit, elle boit, la divine bouteille qui peut effacer la mémoire, échapper à l’odeur des vêtements, annihiler toute tentative de souvenir, se détacher des caresses et des plaisirs partagés.

Pourtant l’alcool va dévorer son corps, elle le sent, elle en a conscience. Le chagrin la mine, la solution éthylique la ronge. A l’accablement sentimental s’ajoute la consternation de son état de dépendance avec la crainte des regards posés sur elle, ces regards qui jugent sans savoir.

Un hymne à l’amour, une ode à la tolérance, une leçon de mansuétude envers tout ce qui semble différent et inexplicable. Une fiction réelle, un roman de la vie et de ses larmes, un cri lancé aux étoiles pour que le jour ne revienne plus, que les larmes de pluie fassent fondre votre corps qui semble être transformé en squelette de l’errance. C’est beau, fort, puissant ; des ailes d’un papillon blessé mais avec ce désir latent d’une transformation en une nouvelle chrysalide pour renaître contre ce temps des instants perdus.

«  Sans toi, Simon, je ne suis plus une femme, je suis une mère, c’est tout. Je suis une clocharde qui attend la nuit, cherche une porte-cochère, un abribus, pour s’y rouler en boule et boire avec dégoût, m’essuyant la bouche du dos de la main entre deux gorgées, jetant aux passants qui oseraient tourner la tête vers moi le regard de la mort. Je ne suis plus rien. »

« La nuit, nos plus belles pensées crèvent le plafond de nos cerveaux engourdis par la vie, nos plus belles terreurs aussi. »

« Il ne savait pas parler de lui, Simon, mais, à travers ses mots, à travers son impuissance, il donnait une voix à ceux qui n’avaient pas la parole et moi qui n’avais, jusqu’alors, jamais été préoccupées par autre chose que mes petits malheurs, je pris la mesure, en l’espace d’une soirée, d’un monde d’éclopés, courageux et silencieux. »

Et boire ma vie jusqu’à l’oubli – Cathy Galliègue – Editions Emmanuelle Colas – Octobre 2018

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