Une noisette, un livre
Un gentleman à Moscou
Amor Towles
Moscou.
1922 – 1954.
Une
épopée de plus de trente ans dans l’immensité de la Russie devenue soviétique.
Bref
rappel : en mars 1917, le tsar Nicolas II abdique et quelques mois plus
tard la république est instaurée par Kerenski. Période trouble (euphémisme) car
au même moment la première guerre mondiale prend une terrible ampleur et la
Russie fait partie des alliés. Mais le Révolution d’Octobre arrive et modifie
complètement les alliances… C’est une guerre civile qui s’engage entre les
armées blanches et les armées rouges ; les Bolchevik, déjà au pouvoir
depuis 1917, gagnent définitivement et créent en décembre 1922 l’URSS.
Entre
temps, le 21 juin 1922, un certain comte Alexandre Ilitch Rostov comparait
devant le comité exceptionnel du commissariat du peuple aux affaires
intérieures. Son grief : un poème dont en apprendra la véritable origine
un peu plus tard. L’aristocrate dans toute sa noblesse du terme est assigné à
vivre en résidence surveillée dans un haut lieu symbolique de la capitale
moscovite : l’hôtel Métropol.
L’histoire
commence. Vous pouvez vous asseoir dans un fauteuil Voltaire à côté d’un samovar
posé sur une table orientale pour vivre les jours et les nuits de comte
facétieux qui va progressivement s’incorporer à toutes les facettes du palace,
devenir le confident et l’ami de la couturière et du barman, travailler comme
serveur au restaurant Boyarski. L’évènement le plus important est sa rencontre
avec une petite fille, Nina. Une confiance mutuelle va naître entre les deux,
tellement, que des années plus tard, elle ne voit que cet « oncle » à
qui confier sa petite fille Sofia. Au départ, pour simplement quelques mois…
Un
amour de roman, si on peut le qualifier ainsi car c’est un livre inclassable
tant il chevauche en même temps sur réalité et fiction avec des toasts d’humour,
des envolées homériques, des notes mozartiennes, le tout enveloppé dans un
parchemin historique semé d’anecdotes en demi-teintes. Un livre qui charme, à
l’image de ce comte séducteur malgré lui, mettant le lecteur hors du temps,
hors de l’espace, hors de tout, une lecture en apesanteur en quelque sorte pour
plonger dans la culture russe d’un monde d’antan mais par une plume
contemporaine qui sait mettre en émoi dès que l’on entraperçoit le prénom et le
nom du comte : mélange subtil d’une dynastie de tsars et de Léon
Tostoï !
Cloîtré,
le comte voyage dans sa tête, de souvenirs en souvenirs, d’une pommeraie à un
dîner du temps de la liberté ; il songe à Cervantes et à Napoléon, à Edmond
Dantès et à Robinson Crusoé. Mais l’hôtel est loin d’être une île déserte car
rapidement le Métropol devient le théâtre (avec un Bolchoï comme voisin…) de
rencontres politiques, de scènes cocasses, de leçons d’initiation diplomatique,
sans oublier le côté village Potemkine (référence plus tsariste que soviétique)
qui se met progressivement en place.
Savoir
regarder, savoir écouter, savoir se taire, savoir s’amuser, savoir doser, c’est
la leçon magistrale d’un gentleman parfois un peu cambrioleur. Et puis, de
l’élégance avant toute chose…
« S’il avait été
pianiste, Andreï aurait facilement pu jouer un accord de douzième. S’il avait
été marionnettiste, il aurait pu recréer le duel entre Macbeth et Macduff avec
en prime trois sorcières. Mais Andreï n’était ni pianiste ni marionnettiste –
du moins pas dans le sens traditionnel du terme ; Il était capitaine du
Boyarski, un capitaine dont les mains exécutaient leurs tâches l’une après
l’autre sous votre regard émerveillé. »
« Aux braves qui se
sont égarés, les Parques offrent un guide. Sur l’île de Crète, Thésée avait son
Ariane et sa pelote magique pour sortir sain et sauf de l’antre du Minotaure.
Perdus dans ces cavernes habitées par des spectres, Ulysse avant son Tisérias,
Dante son Virgile. A l’hôtel Metropol, le comte Alexandre Ilitch Rostov avait
une fillette de neuf ans de Nina Koulikova. »
« Pour un jeune
homme désireux d’impressionner une jeune femme, le menu du Piazza était aussi
traître que les eaux du détroit de Messine, avec à gauche Scylla, c’est-à-dire
des plats bon marché dont le choix risquait de suggérer radinerie et manque de
flair ; et à droite Charybde, en l’occurrence des mets raffinés
susceptibles de vider votre portefeuille et de vous donner des airs prétentieux. »
« Après-tout, nos
premières impressions, que nous apprennent-elles d’une personne aperçue une
minute dans un hall d’hôtel ? J’irais plus loin : nos premières
impressions nous apprennent-elles quelque chose ? Réponse : pas plus
que ce qu’un accord nous apprend de Beethoven, ou un coup de pinceau de
Boticelli. De par leur nature même, les êtres humains sont tellement
capricieux, complexes et délicieusement contradictoires qu’ils méritent non
seulement un examen de notre part, mais également un réexamen – ainsi que notre
engagement ferme à réserver notre opinion tant que nous n’avons pas eu affaire
à eux à des endroits et des moments aussi divers que possible. »
« Depuis qu’il y a
des hommes sur terre, songea le comte, il y a des hommes en exil. Que ce soit
dans les tribus primitives ou les sociétés les plus avancées, ils sont invités
par leurs compatriotes à faire leurs valises, à traverser la frontière et à ne
plus jamais poser le pied sur le sol natal. »
« Au garde-à-vous à
l’entrée du salon jaune se tenait un Goliath de taille à faire réfléchir
n’importe quel David. »
« Le comte avait
parfaitement raison. Car lorsque la vie empêche un homme de poursuivre ses
rêves, il fera tout pour les poursuivre quand même. »
Un gentleman à Moscou –
Amor Towles – Traduction Nathalie Cunnington – Editions Fayard – Août 2018
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