Une noisette, un livre
Les cigognes sont
immortelles
Alain Mabanckou
A
l’instar de « Petit Piment », Alain Mabanckou reprend avec ce nouvel
opus une narration candide pour raconter son histoire, celle de son Congo natal
et de ses méandres troubles de la politique.
Mais
sous ce voile de l’ingénuité, c’est un constat raconté avec beaucoup de malice
et de métaphores qui permet de fendre la barrière des non-dits, de l’invisible
caché dans le destin d’une nation.
Michel
est un jeune adolescent, doué et rêveur (comme quoi cette alliance est
possible), vivant à Pointe-Noire avec sa maman Pauline et son père adoptif
Roger. Tout semble aller presque pour le mieux dans le meilleur des mondes,
entre l’école, les commissions à faire chez Mâ Moubobi, et les longues discussions
avec son père, sous le figuier (l’arbre à palabres) à l’écoute de la radio,
tantôt sur les ondes de la Voix de la Révolution congolaise, tantôt sur les
ondes de la Voix de l’Amérique. Jusqu’à ce jour où le président Marien Ngouabi
est assassiné. Michel, va se rendre compte peu à peu de la vacuité des actions
politiques, de la dichotomie entre le discours et les actions, de l’hypocrisie,
des différences, de l’empreinte colonisatrice, du rôle indispensable du
mensonge. Mais il cherche à comprendre, réfléchit, d’autant plus qu’au moment
de l’annonce du meurtre du dirigeant congolais, son chien Mboua Mabé s’est
enfui… A lui désormais de savoir séparer le bon grain de l’ivraie tout en
continuant à songer à ces cigognes blanches…
Une
formidable fresque de l’histoire trop souvent oubliée du Congo (sans omettre celle
de son jumeau le Zaïre), cette détresse du continent africain qui subit encore
de nos jours les coups de chicotte du colonialisme et de la décolonisation. Aucun
misérabilisme ne sort de cette plume agile tant l’humour est sous-jacent et
omniprésent même pour dépeindre les blessures d’antan qui ne se referment pas
et continuent de gangrener la société congolaise.
Du
grand art, probablement le récit le plus accompli d’Alain Mabanckou, le plus
touchant aussi. Mais pour paraphraser l’écrivain je ne peux pas tout dévoiler
sinon on va encore dire que l’écureuil exagère toujours et que parfois je suis
emphatique sans le savoir…
Reste
une dernière noisette, celle de la couverture illustrée par une photo de
Raymond Depardon. Une image métaphorique supplémentaire et qui fait fondre le
lecteur dans les temps reculés de l’Antiquité : le plongeur de Paestum.
« Le gouvernement
avait fermé les frontières. Mais si on ferme les frontières avec un gros cadenas,
si on ne veut plus que les gens sortent ou entrent, par où la nourriture va
arriver ? »
« Je m’en fous que
dans la cour de récréation les élèves me surnomment maintenant « le
rêveur ». Ils ne savent pas que sur un de ses bouts de papier où elle me félicitait,
louise avait écrit, avec sa belle écriture : « Fais-moi rêver ».
Et elle avait aussi dessiné deux cœurs, avec une ligne qui les traverse. Ça
voulait dire que, lorsqu’on est amoureux, les cœurs font du cheval sur
l’équateur, et c’est pour ça que ceux qui ne savent pas chevaucher tombent et
se font très mal… »
Les cigognes sont
immortelles – Alain Mabanckou – Editions du Seuil – Août 2018
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