vendredi 19 juin 2020

Une noisette, un livre

 

Un monstre est là, derrière la porte

Gaëlle Bélem

 

Quel est ce monstre derrière la porte ? Un Croque-mitaine, un Grand méchant Loup ? Mais nous ne sommes pas en métropole, nous sommes à l’ile de La réunion, alors possible que ce soit l’atroce Grand-Mère Kal… ou d’autres personnages.

Au début des années quatre-vingt, un homme et une femme se rencontrent. Rien d’extraordinaire. Sauf qu’ils vivent dans une France de l’autre bout du monde où la misère est le quotidien des habitants, cette ile restant trop souvent assimilée à une succession de cartes postales idylliques.

Le couple Dessaintes se marie mais n’eut pas beaucoup d’enfants. Un fils décède quelques heures après la naissance puis vient une fille. Horreur, une fille ! Non désirée elle grandira sans amour. Elle trouve refuge dans les livres, l’écriture. Alors elle va raconter sa vie, l’histoire de ses parents, de ses voisins, de ce territoire colonisé. A sa façon. Pour dompter le monstre qui se cache, surgit, dévore, blesse. Avec l’aide de la pauvreté qui gangrène toute une population et qui se réfugie dans l’alcool, elle-même entrainant la violence.  Et ce, de Charybde en Scylla.

A neuf ans, cette petite fille s’estime déjà vieille, elle a déjà vécu la malnutrition, la violence d’un père qui se retrouve au chômage puis qui va s’enfuir pour toujours, l’errance d’une mère qui semble détachée de tout, les coups, les brimades, l’humiliation, les punaises de lit dans la pitance de riz. Pourtant, elle s’accroche, reste à savoir si elle parviendra à se tracer une route ou à ne trouver qu’un précipice.

Si Gaëlle Bélen a déjà signé son propre style dès son premier roman, je soupçonne tout de même que sa plume soit le résultat d’un hybride entre Michel et Jacques Audiard : Michel pour la causticité et l’humour au vitriol – entre nous même les fameuses « nervous breakdown » surgissent – et Jacques pour faire évoluer des personnages ambivalents dans un univers sombre et thrillesque. Avec une touche de prestidigitation pour ne pas en venir à détester les parents malgré tous les faits accablants qui les condamnent.

Un roman qui rassemble une coulée de mots pour déclencher une éruption d’émotions diverses, du rire aux larmes, en passant par une cheminée de surprises et qui fait que ce livre se transforme peu à peu en une sorte de basalte sombre et résistante. Aucune crainte d’ouvrir la porte même si monstre il y a. Une fois entré, c’est un récit volcanique qui attend le lecteur.

Un geyser livresque, un point c’est tout !

« Bien que quelques-uns rêvassent encore de pirogues à fond plat fuyant au crépuscule vers le pays nègre, la plupart avaient compris qu’ils seraient enterrés ici au meiux sous un takamaka, entre l’écume et la boue. Alors commencèrent les premiers suicides, les troubles psychotiques, les infanticides et les avortements à coups de menthe pouliot. L’abîme appelle l’abîme ».

« Ils marchaient, regardaient en bas, ils avançaient encore et avaient le vertige. Alors, ils se résolurent à regarder passer les jours. Pas vivre. Ça, c’était perdu d’avance. Juste laisser passer les jours ».

« A la Réunion, la vie en lotissement, c’est Pandémonium sous les tropiques ».

Un monstre est là, derrière la porte – Gaëlle Bélem – Editions Gallimard/Collection Continents Noirs – Mars 2020


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