lundi 14 janvier 2019


Une noisette, un livre


 Les petits garçons

Théodore Bourdeau




Ils étaient deux petits garçons. Ils étaient nés heureux, ils étaient inséparables. Quand l’un parlait, l’autre écoutait, quand l’un observait, l’autre décidait. Des rôles qui parfois s’inversaient mais des farces enfantines aux premiers pas d’adulte, toujours sur le même chemin de l’amitié, celle qui est faite pour durer. Contre vents et marées.
Des deux garçons, l’un était plus riche que l’autre, l’un plus volage que l’autre. Mais peu importe les différences, toujours ensemble avec l’énergie de la vie et l’espoir de toutes les réussites.

Le narrateur franchit les étapes de la construction calmement, petit à petit, avec une ambition relative et un œil souvent porté vers les filles. Son ami Grégoire, plus brillant, plus studieux, multiplie les réussites scolaires et son regard se pose uniquement sur Caroline, sa future épouse.
Cependant, la réalité de la vie va secouer leur destin respectif : la dureté des relations, l’hypocrisie du monde du travail, la violence du terrorisme, tout va progressivement ternir l’ascension acquise ou le projet de réalisation espéré.

Si la première partie peut sembler un peu longue, le récit prend de l’ampleur au fil des pages pour un final très subtil et sagace, principalement sur le métier de journaliste et sur la fragilité des instants, des parcours. Théodore Bourdeau a cette particularité de dévoiler beaucoup mais en occultant le principal, j’oserais presque dire une sorte de bikini livresque… En effet, nombreuses sont les références à des personnes ou des faits connus : le chanteur du groupe le plus triste du monde qui meurt à 27 ans, le 11 septembre, l’Ecole Nationale, Charlie,… il laisse le lecteur le choix de faire travailler sa mémoire, de raccrocher les faits, les lieux. Rien n’est vraiment dit, tout est suggéré. Et malgré le côté sombre, c’est d’un charme absolu, presque une tendance romantique à la sauce du XXI° siècle.

L’autre point fort de ce roman est la vision du journalisme par un journaliste. Depuis les études jusqu’au travail d’une rédaction. Aucune critique réelle, juste un constat, parfois bien amer, entre rivalités et course aux audiences. Le tout au détriment de ce qui est l’essence même du métier : informer. A côté, les relations entre pouvoir politique et journalisme, d’un côté les effets pervers du scoop et les connivences, de l’autre,  la nécessité de la recherche de la vérité et du travail d’investigation.

On achève de lire les dernières pages avec un sentiment bien différent qu’au début des préliminaires. D’une histoire de deux petits garçons, c’est une immersion dans le monde des adultes avec ce brin de nostalgie de ceux qui au moins ont pu avoir une enfance heureuse. Les épines apparaissant par la suite…Dans ce tableau aux ombres grises, surgit une palette de couleurs, une palette d’élégance, celle d’une œuvre impressionniste du peintre Louis Valtat.  A l’image de cet artiste, on pourrait qualifier « Les petits garçons » d’un roman fauve, celui d’un automne où les feuilles tombent, où les couleurs sont à la fois violentes et vives ; une représentation réaliste entre audace et douceur.

« Souvent, je me disais que les journalistes étaient des touristes : on se plongeait dans l’univers décati des autres, puis on rejoignait ses copains pour raconter les anecdotes de reportages, on ironisait sur les témoignages recueillis, même s’ils étaient tragiques, un peu comme après un safari quand on montre ses photos. Car nous vivions pour la plupart dans des quartiers agréables. J’avais bêtement choisi celui de la gare, mais j’aurais pu vivre dans un environnement chic (…) Elèves de l’Ecole de journalisme, nous appartenons au monde des villes, nous étions des enfants des classes moyennes, voire des bourgeois, bien éduqués et destinés à un métier peu rémunérateur, mais valorisé. Que pouvions-nous véritablement comprendre à la vie de ceux qui survivaient dans des zones que nous ne visitions que par obligations ? »

Les petits garçons – Théodore Bourdeau – Editions Stock / Collection Arpège – Janvier 2019

( Un tableau de Louis Valtat qui pourrait correspondre à celui tant aimé par Grégoire...)


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