Une noisette, un livre
Des hommes couleur du
ciel
Anaïs Llobet
La
Haye, juin 2017. Un attentat sanglant est commis dans la cantine d’un lycée
néerlandais. Rapidement la piste tchétchène est évoquée, le poseur de bombe
serait un élève venant du Caucase.
Car
au milieu de ce tumulte, existe bien une famille venant de cette région du
monde, une région oubliée de tous, meurtrie pas les répressions, ensevelie dans
de sombres pensées. Il y a deux frères : Oumar et Kirem. Mais aussi un
cousin Makhmoud. Oumar a passé son baccalauréat, il est attentionné, réservé,
travailleur. Il a son double, son autre face cachée, celle d’un jeune homme homosexuel qui boit de l’alcool, porte des pantalons moulants, passe des soirées dans un
club gay, s’enivre de sexe contre un mur ; il n’est plus Oumar, il est
Adam. Kirem est beaucoup plus rebelle, plus violent même si pas autant que
Makhmoud. Ce sont eux qui vont commettre l’attentat mais c’est Oumar/Adam qui
va être le nerf de l’histoire.
Il
y a aussi Alissa, professeure de russe dans ce même lycée. Elle a son passeport
hollandais et se fait appeler Alice. Elle n’ose parler de sa véritable
identité, de sa religion même à son compagnon Hendrik. Car, elle est
Tchétchène ; prise entre deux cultures malgré son intégration ; car
il en faut peu pour qu’elle ne se sente pas tout à fait comme ceux qui
l’entourent ; au moindre regard, au moindre soupçon, elle est l’étrangère.
Alissa connait les deux garçons, ils se
ressemblent autant physiquement qu’ils sont éloignés psychiquement. De Kirem, elle
n’obtient rien, que des copies écrites en tchétchène et non en russe, elle ne
les lit plus, elle les a juste mises de côté.
Les
enquêteurs vont demander l’aide de cette professeure, notamment comme
interprète. A la douleur d’avoir perdu des élèves dans la tragédie, s’ajoute la
terrible réalité d’Oumar soupçonné alors qu’il est l’opposé d’une terroriste.
Mais il se tait, s’enferme.
Un
récit qu’il faut bien lire attentivement jusqu’à la dernière phrase pour en
saisir toute sa dimension. Car à côté du roman, c’est la journaliste Anaïs
Llobet qui s’exprime, la reporter qui connait la Russie, la Tchétchénie et ses farouches persécutions d’homosexuels.
Rien n’est rédigé au hasard, c’est un diaporama sur les différences, les
conflits, l’intolérance. C’est aussi une
description sans œillères de l’exil, ce déracinement qui est une déchirure pour
ceux qui partent et un terrain de haine chez certains regards occidentaux. La
ville de La Haye n’a pas été choisie par un jeu de loterie . La journaliste la connaît bien
mais cette cité porte également un immense symbole car de nombreuses
institutions internationales y ont leur siège : la Cour de Justice (CIJ), la
Cour Pénale (CPI), l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques
(OIAC), etc.
Quand
on referme ce livre si poignant, déchirant, on se met à rêver d’un monde
meilleur, plus ouvert sur l’autre. On rêve de ces couleurs arc-en-ciel qui
ouvrent le spectre des lumières de tolérance, on pense à l’Afrique du Sud qui a
pris cet emblème après la fin de l’Apartheid. On souhaite que ces hommes
couleur de ciel, deviennent l’avenir de l’humanité… Un roman pour comprendre
l’autre, les autres ; un roman pour expliquer l’enfer réel des dictatures et le
rejet de toute singularité, un roman pour apprendre à nous occidentaux d’éviter
la condescendance afin de percer les abcès de la violence
« Oumar se souvient de Taïssa, ses yeux secs
et impassibles, ses mains chaudes même au creux de l’hiver, la peau douce
malgré l’absence de caresses.
Mère-rempart, elle
levait le menton vers le plafond de la cave, comme si elle défiait les avions
de faire tomber leurs bombes sur ses enfants. Oui, il se souvient de ce regard
qui ne vacillait pas, de son calme face aux grands-mères qui la harcelaient de
reproches. Elle gardait la tête froide et les voisins s’en remettaient à elle.
Taïssa avait la parole juste, le cœur acéré. Chacun savait que, si elle n’avait
pas ses fils à élever, elle serait déjà dans les forêts, à se battre épaule
contre épaule avec son mari Souleiman.
Oumar essaie de
retrouver ce sentiment de fierté qui a nourri son enfance. Cette certitude
d’avoir la seule mère qui vaille, loin des autres souris plaintives de la cave,
faiblissante et affamées. Quand il suffisait de regarder Taïssa pour que la
guerre n’existe plus ».
Des hommes couleur de
ciel – Anaïs Llobet – Editions de l’Observatoire – Janvier 2019
4 commentaires:
Un excellent roman, et une thématique qui ne pouvait que te toucher.
Nous sommes beaucoup à avoir été touchés par ce roman. Bravo Delphine pour ta chronique http://delphine-olympe.blogspot.com/2019/01/des-hommes-couleur-de-ciel.html
Tu restitues parfaitement le ressenti et le contenu de ce roman qui m'a surprise... Je ne m'attendais pas a une telle intensité, une telle émotion... Un beau coup de cœur pour moi sur un thème qui d'habitude ne m'embarque pas, j'y entre plutôt a reculons... Comme quoi 😋
Et c'est vrai que c'est un joli titre pour une histoire de souffranceshttps://mumudanslebocage.wordpress.com/2019/01/12/des-hommes-couleur-de-ciel-de-anais-llobet/
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