Une noisette, un livre
La Maîtresse de Carlos
Gardel
Mayra Santos-Febres
Le
terme et la danse « tango » étant originaire de la communauté noire
d’Amérique Latine, quoi de plus fort que le récit d’une liaison entre Carlos
Gardel et une jeune portoricaine à la peau d’ébène.
Micaela
Thorné (avec un tel prénom rien ne l’épouvante) est une jeune femme, studieuse
élève infirmière voulant devenir médecin, vivant auprès de sa grand-mère
adorée, Mano Santa, guérisseuse et infaillible en botanique.
Au
crépuscule de sa vie, elle se revoit, elle, la jeune rêveuse, héritière des
secrets dont celui du cœur-de-vent combattant les griffures et autres symptômes
de la syphilis, comme ces griffes de l’acanthe de la nymphe grecque provoquées par la vengeance d’Apollon. Son apollon fut Carlos Gardel, une rencontre passionnée
en 1935, un total de 27 nuits brûlantes passées avec lui lors de la tournée à
Porto-Rico du célèbre chanteur.
C’est
un long pas de deux qui commence et qui se termine comme une mordida, avec un balanceo entre la fougueuse relation de Micalea et Carlos et la
condition des femmes noires dans l’archipel des Grandes Antilles avant la
seconde guerre mondiale.
Mayra
Santos-Febres décrit avec une volupté incroyable, cette liaison éphémère mais ô
combien intense. Des bas quartiers aux hôtels de luxe, la protagoniste va
suivre son amant, le soigner, le désirer, le saisir, le prendre. Des heures de
plaisir au son du tango, d’abrazos,
des empujadas pour mieux se
connaître, se sentir, faire corps contre corps.
A
côté de la sensualité, à côté des corps, l’esprit escalade aussi des sommets
d’envies, de rêves, de liberté, d’émancipation ; en tant que femme, en
tant qu’individu de couleur noire. Au début, quand elle arrive avec sa
grand-mère à l’hôtel de luxe où réside Carlos Gardel, elles sont obligées de
passer par un circuit caché, tortueux, pour accéder à sa suite, inconcevable que
des personnes noires franchissent le même passage que les blancs et les riches.
Mais quand elle devient LA maîtresse du roi du tango, elle peut devenir reine
de quelques jours, arpentant les espaces qui jusque là lui avaient été refusés…
Se
chante également un hymne à la nature, à la vertu des plantes, au savoir des
autochtones, à cette communion entre eux et la terre ; une leçon de
phytologie appliquée et un exemple de respect envers ce que notre planète peut
nous offrir, nous apporter en soins à côté de la médecine.
Formidable
espejo où se reflète un magnifique
portrait de femme dans le cœur de l’Amérique Latine et au vent des amours aussi
prodigieuses que ténébreuses. Un cœur-de-vent sensuel dans les épines de
l’acanthe aux sons du tango. Langoureusement superbe !
« Miel épais.
Densité du musc. Les ondes de sa voix m’ont enveloppée, comme un bain
d’onguents, la caresse d’un baume ».
« Ce dont je me
souviens comme si c’était aujourd’hui, c’est sa voix s’insinuant entre mes
doigts. La chanson a remonté mon bras jusqu’à ma poitrine où elle s’est lovée.
Ce son gargouillait comme un épais jet d’eau, mais aussi comme une véritable
caresse qui, sans contact, œuvrait pourtant de toute autre façon dans cette
voiture : une sensation tactile qui me faisait vibrer de
l’intérieur ».
« Notre sang n’est
pas d’une couleur différente, il est rouge. Son rythme n’est autre que celui
qu’impose un cœur, qui lui-même n’est rien d’autre qu’un muscle qui se dilate
et se contracte, qui ne répond à aucun autre stimulus que ceux qu’impose la
biologie ».
La Maîtresse de Carlos
Gardel – Mayra santos-Febres – Traduction : François-Michel Durazzo –
Editions Zulma – Janvier 2019
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