Souvenirs d'un médecin d'autrefois

vendredi 25 juin 2021

 

Une noisette, un livre
 
Un été avec Rimbaud
Sylvain Tesson

 


Arthur Rimbaud, qui était-il en fait ? Un poète naviguant sur l’ivresse du monde ? Un éternel adolescent ordalique ? Un génie qui s’ignorait ? Et si tout simplement Rimbaud avait été Arthur, une légende sans avoir été roi mais avec toute une mythologie digne des chantres grecs. Un être inclassable qui a gardé ses errances au plus profond de lui-même sur un fil de vie rompu trop tôt.

Sylvain Tesson fait un grand bon dans l’histoire des aèdes intemporels : après avoir navigué sur les vagues de vers de l’homme aux mille ruses, il s’empare de son bâton de pèlerin, avec Olivier Frébourg, pour suivre le chemin littéraire et onirique de l’enfant des Ardennes et, coïncidence délicieuse, au moment où des restrictions de mouvement sont ordonnées lors d’une alerte à la mobilisation d’une vésanie collective.

Résultat des courses : des pastilles salutaires sur les ondes de France Inter et un bréviaire thérapeutique aux Editions des Equateurs/Radio France pour palier aux effets secondaires des traitements voulant effacer les déraisons du vagabondage salvateur.

En garde à toi noble lecteur, peut-être découvriras-tu que ton « je » est « un autre » ! Si les envolées tessoniennes, parfois emphatiques, font tourner la tête, elles ont le mérite suprême d’inverser le sens de la grande roue des injonctions de normalité pour nous flanquer un miroir d’où ressort une psyché de nous-mêmes ; purification d’un cristallin devenant opaque par la dictature de la vitesse et des batailles égocentriques.

Point de biographie longue et ennuyeuse, tout simplement un hommage direct et décapant au poète de Charleville-Mézières avec en prime une bonne petite claque à tous ceux, passé, présent et futur, qui récupèrent l’image d’Arthur selon leurs convictions personnelles, faisant parler et retranscrire le capitaine du bateau ivre sur les parois de leur cave imaginaire sans réaliser que « Rimbaud est une épine plantée dans l’autosatisfaction de ses continuateurs ».

Je fais certainement partie de cette piètre caste n’ayant jamais réellement compris « l’homme aux semelles de vent » oscillant entre admiration et désintérêt. Aussi, mes biens chers frères et sœurs, ce petit manuel orange est un miracle pour retrouver la foi dans la verve d’Arthur Rimbaud. Sylvain Tesson avec un humour à faire fondre de rire les plus hauts glaciers – attention, aucune attention de le responsabiliser dans le réchauffement climatique – transporte la poésie et les jongleries foutraques de Rimbaud dans notre société du XXI° siècle sans pour autant faire voler des prosopopées.

Au fil des pages, c’est un brin de bruyère qui voltige, un verre qui se casse, un Verlaine énamouré, un père absent, une mère échappant à l’échappé, une révolte qui aurait pu mener à une révolution, une corne d’Afrique mettant un coup de klaxon dans l’enfer du poète, une maladie à ronger les os, des rêves déchus, des inspirations vertigineuses, du baroque dans la contemplation de la simplicité du vivant.

Même si vous restez sédentaire durant l’été ou en toute saison, déguster cet ouvrage vous permettra de rester en mouvement, dans une perpétuelle valse des mots ; bouger dans son esprit est déjà une mise en avant sur le monde et les autres, le « logos étant l’alliance de l’homme ».

« Dès sa mort, Rimbaud devient l’enjeu du débat des Modernes et des Anciens. Et les catéchumènes comme les libres-penseurs de se disputer la dépouille. Les vautours ont toujours de bonnes intentions au-dessus d’un cadavre. Pour la poésie, on repassera ».

« Arthur n’est pas réductible à un archétype. Sa trajectoire aimante les contraires. A côté du démolissseur, il y a le bon élève. L’un terrifie les docteurs, l’autre est épris de goût classique. C’est la leçon de Rimbaud pour les iconoclastes incultes : commencez par faire vos humanités avant de renverser les statues ! »

« Sans qu’Arthur connût rien de ces peintres, et sans même qu’ils fussent tous nés, on reconnaît dans ses chansons la gaieté de Watteau, le ciel de Turner, l’étrangeté de Moreau, les plaies de Goya, les spectres d’Otto Dix, une fête flamande, un étang de Millais, une vulve de Courbet et l’horreur de Kubin ! »

Un été avec Rimbaud – Sylvain Tesson – Editions des Equateurs/France Inter/Radio France – Mai 2021

Aucun commentaire:

  Noisette intime Le silence des ogres Sandrine Roudeix   "Il y a des romans qui sont comme des forêts. On les regarde de loin....