Une noisette, un livre
Saisons du voyage
Cédric Gras
Heureux qui comme Cédric Gras a fait de beaux voyages et s’en retourne chaque fois avec usage et raison pour vivre moult aventures le reste de son âge.
« Saisons de voyage » est un vaste recueil des déambulations de l'écrivain lorsqu’il a commencé à partir par monts et par vaux pour découvrir le monde et ceux qui le peuplent. Car l’intérêt principal de lire Cédric Gras – sans oublier la fine plume qui caracole sur les cimes de la langue française – est de voyager pour communiquer sous d’autres cieux en rejetant toute velléité touristique de carte postale et de selfie d’autosatisfaction. Parcourir le monde mais sans cette multitude, sans ce marketing tributaire de la mode et qui fait que l’industrie touristique finit par se moquer du monde.
L’écrivain voyageur se transforme en caméléon pour une immersion sans luxe dans les terres eurasiennes ou sur les sommets andins. Quitte à se retrouver dans des situations alarmistes mais dont il tire à chaque fois des leçons de vie. Attiré par les grands espaces qui s’éveillent vers les rayons d’Orient, le récit est surtout placé sur les vagabondages de l’Europe de l’Est, de la Mongolie et vers le toit du monde, en particulier le Tibet. On découvre aussi des descriptions, un ressenti qu’il est difficile de lire ailleurs comme, par exemple, pour l’Albanie. On est loin des narrations de crime organisé et d’islam intolérant, de pays à bout de souffle, Cédric Gras y a vu autre chose, un pays qui respire l’air marin, une jeunesse qui caracole et une terre qui n’a pas le lourd héritage d’années de guerre comme son voisin kosovar.
La richesse des descriptions et l’authenticité qui découle de pages en pages fait que d’aucuns peuvent avoir l’impression de connaître ces territoires sans pourtant y avoir posé le moindre pied. Mais il suffit d’imaginer Cédric Gras sous une tente avec des Mongols, tentant un dialogue improbable, recevant l’accueil des gens qui naviguent dans les mêmes conditions depuis des siècles. Souvent avec satisfaction, parfois avec des déconvenues, déconvenues inévitables surtout dans des pays ayant souffert ou souffrant toujours de régimes passablement autoritaires. Et même parfois pour l’écrivain, une reconduite à la frontière est inévitable… Mais reste la beauté des terres pas encore standardisées dans un monde mondialisé à l’extrême. Qu’elles puissent encore perdurer et que l’on sache inventer un tourisme respectueux, qui ne saccage pas les peuples racines, qui se plie aux normes locales et non l’inverse, qui tende vers les rencontres et qui arrête la « potemkinisation « de la planète. En cela, ce livre de Cédric Gras est un bréviaire, une « lecture du livre du monde ».
« Voyager, c’est avoir le cœur apatride ».
« On ne veut rien voir des haillons du monde, qui viennent pourtant s’ériger en campements sahariens jusqu’ai cœur de Paris ».
« La Terre, vaste salle des pas perdus ».
« La liberté ce n’est pas être maître de sa journée, non, la liberté c’est se faire gifler par le vent. La liberté c’est boire aux lacs salés du Chantang sous la blancheur du Kunlun. La liberté, c’est se battre pour un peu de chaleur dans l’immensité d’un plateau aussi vaste que l’Amazonie ou l’Antarctique ».
« Les lacs sont pour les Tibétains l’œil par lequel l’au-delà nous observe ».
« Qu’on le veuille ou non, le tourisme est un voyage galvaudé, une razzia allogène balayant toute trace d’existence locale. Il proscrit la rencontre et folklorise le dépaysement. Il ne peut s’immerger dans les lieux qu’il submerge. L’essaim des vacanciers redessine le paysage en imposant ses standards de villégiature. Le tourisme édicte ses propres normes, il commande à l’architecture comme à l’achalandage des boutiques. Il tors la réalité, la pousse aux artifices pour la rapprocher de ses fantasmes ».
« L’aurore est plus sage que le crépuscule, dit le proverbe russe ».
« Posséder une langue fait sauter toutes les barrières. On passe de l’autre côté du miroir des apparences, on pénètre l’envers du décor. Il fait soudain jour dans le quotidien du voyage et l’on relativise la frénésie spatiale, la course aux hauts lieux (…) Langue, odyssée majeure où l’endroit le plus anodin se fait conteur. Les êtres ne sont plus ces visages sibyllins que l’on tente vainement de lire. Le verbe est la véritable acuité du vagabond, il attrape les interjections au vol ».
« L’espèce invasive que nous sommes reste le grand tabou de l’écologisme. Il m’est arrivé de converser avec un ancien ministre qui croyait dur comme fer que la géosphère pourrait bien nourrir - et abreuver ? – encore quelques milliards d’être humains, avec des grillons et des sauterelles, lui semblait tenir à la sole meunière ».
Saisons du voyage – Cédric Gras – Editions Folio – Avril 2021
1 commentaire:
Dans mon panier celui-ci....merci l'écureuil !
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