Souvenirs d'un médecin d'autrefois

lundi 14 juin 2021

 

Une noisette, un livre, une rencontre
 
Lucien Saurigny dans les pas de Jean-Claude Bourlés
L’euphorie du camino

 


Près de quarante plus tard – bonjour la cure de rajeunissement – je retrouve celui qui me fit découvrir en premier la langue de Cervantès : Lucien Saurigny, professeur agrégé d’espagnol en Deux-Sèvres puis dans le Maine-et-Loire. Véritable ambassadeur touristique pour la péninsule ibérique, il rêvait depuis longtemps de faire un jour le chemin de Saint-Jacques. Il connaissait déjà le parcours pour en avoir effectué des étapes mais à 73 ans et avec de gros soucis de santé dans les bagages – notamment cardiaques et articulaires – il décide de partir seul sur le « Camino francès » avec pour bâton de pèlerin un vélo électrique, obligatoire s’il voulait rentrer dans son Ithaque auprès de son épouse Dominique.

De ce périple il en a écrit un livre – le quatrième – pour raconter et poser ses photographies. Un parcours unique où toutes les cultures du monde, les nationalités et la diversité se rencontrent. A l’image de la photo de couverture représentant trois jeunes filles américaine, australienne et allemande, il voulait démontrer que ce pèlerinage va au-delà de la spiritualité. D’ailleurs bien que croyant et catholique pratiquant sa motivation n’était pas religieuse mais historique, le patrimoine faisant partie de notre généalogie à tous, et aussi en particulier pour l’art roman. « Je voulais rencontrer l’humanité, ce chemin est un microcosme incroyable, on y croise tous les continents ».

Ce n’est pas la première fois que cet enseignant part vers l’immensité pour retrouver quelque chose. « Quand j’ai besoin d’inspiration, quand j’ai des doutes, je pars de façon impulsive, par exemple dans le Cantal, j’ai besoin d’un horizon, de respirer sur des hauts-plateaux. Je suis à 200% pour la montagne, éviter la foule, prendre de la hauteur pour laisser son esprit vagabonder ».

L’Espagne est sa seconde patrie et si Lucien Saurigny déplore la bétonisation du bord de mer, ce pays « rude, âpre, offre pourtant encore de l’authenticité . La population se concentre dans les villes et de vastes territoires hors du temps existent encore comme au nord de l’Estrémadure dans ce qu’on nome « La petite Sibérie «  ou bien justement sur le chemin de Saint-Jacques, dans les Ancares. Là, on tombe sur des villages isolés avec des maisons de pierre et toits de chaume et des sangliers à chaque carrefour, c’est presque une immersion chez Astérix ! » raconte Lucien Saurigny avec malice dans le regard.

Ecrire est devenu essentiel pour le professeur auteur, grand admirateur de Sylvain Tesson. Tellement heureux d’en parler, que durant l’entretien réalisé chez lui, il se précipite dans son bureau pour montrer toute la collection de l’écrivain voyageur. « J’ai fait sa connaissance avec Les forêts de Sibérie qui m’avait interpelé pour ce côté mystérieux. J’aime ce qu’il écrit, comment il conçoit notre société, son côté provocateur et parfois fou. Sur les chemins noirs est une merveille, tenez, le livre idéal pour l’après crise, redécouvrir ce qu’il y a près de chez soi, s’imprégner de la beauté et regarder les petites choses ».

Là, en feuilletant les ouvrages qu’il m’apporte, je note que mon ancien professeur est un « barbouilleur » de livres : mention en deuxième page de la date de lecture (ou plusieurs si relu), des traits de crayon de papier partout et au bic rouge pour les passages plus qu’importants. J’en déduis un lecteur passionné et m’empresse de lui demander quelles sont ses lectures d’avant le franchissement des Pyrénées. « J’en ai lu près d’une trentaine, dont un plusieurs fois d’une maison d’édition peu connue car franc-maçonne : le pèlerinage à Compostelle, une quête spirituelle de Michel Armengaud. Ce livre est envoutant. Il y a aussi dans mes préférés, le Guide du sacré du chemin de Compostelle et bien évidemment Immortelle randonnée de Jean-Christophe Rufin, l’académicien est, je crois, le premier à avoir cassé les mythes en racontant tous les à-côtés, cette démystification était nécessaire. Autre auteur incontournable et spécialiste de Compostelle est Jean-Claude Bourlès, j’ai tant appris de lui et bluffé par cet homme athée mais happé par ce pèlerinage vieux de plus de douze siècles. Passants de Compostelle ou Retour à Conques sont des indispensables pour tout futur pélerin ». A ce stade de la conversation j’ai cru que le sieur Saurigny allait utiliser le mot bréviaire.

A la fin de l’entretien, après m’avoir fait entrer dans son bureau où une fenêtre laisse pénétrer une douce lumière en ce jour ensoleillé de juin et où résonne doucement de la musique classique, l’auteur travaillant souvent dans un environnement sonore, le marcheur enamorado de España voulait encore me confier quelques réflexions et un secret. Commençons par le secret. Celui qui a porté l’enseignant vers l’écriture : José Luis Sampedro et son « Escribir es vivir », écrit suite aux nombreuses conférences données aux quatre coins d’Espagne. « Je l’ai lu en 2007, un an après mon infarctus à une période où je me demandais même si j’allais continuer d’enseigner. Là, j’ai appris que nous avions eu le même souci médical au même moment et cet homme est devenu mon mentor » Il me met ce précieux livre entre les mains et rapidement je parcoure quelques lignes, ici et là. Je note aussitôt une philosophie de vie et quasi un credo pour l’écriture et la force du verbe. Puis, avec toujours la même voix excessivement posée, il enchaîne.  « Faire Saint-Jacques est une chose, le raconter une autre chose. Je voulais écrire et en même temps rendre hommage à toux ceux qui le font : jeunes, moins jeunes, des gens en bonne santé, des handicapés comme cette femme incroyable que j’ai rencontrée, et en même temps, donner envie à ceux qui hésitent à entreprendre ce voyage. C’est une joie immense et une façon d’aller vers les autres dans la même direction. »

A cet instant, j’ai cru que Lucien Saurigny se croyait encore sur un plateau castillan en contemplation devant le rayonnement du monde et des âmes. Puis soudain, il se lève et me dit « Vous entendez le chant des oiseaux » ?

L’euphorie du camino, Compostelle à tout prix – Lucien Saurigny – Autoédition chez Ecrituriales – Lien direct https://www.ecrituriales.com/auteurs-m-z/lucien-saurigny/




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