mardi 1 juin 2021

 

Une noisette, un livre
 
Frakas
Thomas Cantaloube

 


Attachez vos ceintures, l’histoire est brutale. A l’image de ce que fut la colonisation, mais aussi la décolonisation car le pays colonisateur ne voulait pas se séparer d’une poule aux œufs d’or, c’est-à-dire, donner soi-disant une indépendance tout en voulant continuer à exploiter et se garder les richesses par tous les moyens possibles, y compris par les armes.

En novembre 1960, Félix-Roland Mounié est assassiné à Genève, empoisonné par un envoyé de la SDECE, William Bechtel, se faisant passer pour un journaliste. Figure de l’indépendance du Cameroun, il avait succédé à Ruben Um Nyobe, lui-même abattu par l’armée française en 1958. De ces faits historiques, Thomas Canteloube va les réintroduire dans un thriller politiques où personnages de fiction alternent avec des personnages réels pour remonter le fil de l’emprise de la Françafrique lors de sa naissance dans les années 60. Là, c’est le jeune journaliste Luc Blanchard appuyé de son chef direct, René Hartmann, qui va enquêter dans les nébuleux services français, sur le territoire et jusqu’à Yaoundé. Mais, évidemment, les conseillers de l’ombre ne souhaitent pas que l’on soulève les boites malodorantes et vont faire pression sur le reporter. Dans cette course à la vérité, il rencontrera Antoine Lucchesi, un honnête trafiquant s’étant lié d’amitié avec Alphonse son cuisinier camerounais et militant à l’Union des Populations du Cameroun, Sirius Volkstrom, un mercenaire à la limite de la caricature, Casimir, aussi énigmatique que généreux et Lucille, une métisse originaire de la Guadeloupe se sentant de nulle part et de partout.

Thomas Cantaloube signe un polar époustouflant, jonglant avec brio dans la fiction pour mieux faire saillir la réalité. Après avoir enregistré tous les noms des intervenants et en resituant le contexte, le lecteur est prêt pour avaler l’incroyable cavalcade d’un journaliste en quête de vérité.

Un roman est parfois plus pertinent qu’un reportage ou qu’un essai et c’est avec joie que l’on peut accueillir cet opus mettant en scène l’un des pères de la Françafrique, l’homme de l’ombre dans toute son énigme : Jacques Foccart. La liste des pays est longue… Le Congo, bien que d’influence belge, avec la sécession katangaise, le Togo, le Niger, le Tchad, le Gabon ou nommé parfois le « Foccartland » avec le clan Bono – et justement, très judicieux le choix de l’auteur d’aller faire un saut à Libreville – et, et, le Cameroun ! Le massacre perpétué par l’armée française en pays bamiléké reste encore trop méconnu. Pourtant le chiffre de plus de 100.000 morts devraient apparaître dans les manuels scolaires, dommage que ce soient les vainqueurs qui fassent l’histoire. Le colonéalisme a gagné puisque la résistance nationaliste a été effacée. Pourtant elle a lutté pendant de nombreuses années, de 1957 à 1970. L’indépendance n’entraîna pas un état souverain mais un état sous tutelle moyennant des avantages à ceux qui acceptaient cette administration mixte… Frakas, même si romancé, en est une parfaite transcription.

Thomas Cantaloube a démissionné de ses fonctions de journaliste pour se consacrer à l’écriture. Mais son empreinte demeure et il n’oublie pas de faire référence à une autre indépendance malmenée, celle de la presse.

Frakas – Thomas Cantaloube – Editions Gallimard/Collection série Noire – Avril 2021

En remerciant BABELIO pour l’envoi de ce livre

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