Souvenirs d'un médecin d'autrefois

vendredi 11 juin 2021

 

Une noisette, un livre
 
La Belle est la Bête
Floriane Joseph

 


Vous aimez les êtres solaires ? Alors vous allez adorer ce conte autour d’un personnage haut en couleurs : Leïla.

Il était une fois (expression classique mais qui fait toujours son effet) un royaume au parfum d’Orient entouré de  montagnes et où brûlait un sable chaud dans un désert d’immensité. Un sultan dirigeait le pays avec l’aide de son fidèle vizir, Wizram, un cavalier d’or autrefois cavalier noir dans toute la haute noblesse de la fonction. Le sultan avait eu le chagrin de perdre son épouse et en chérissait encore plus ses cinq filles, dont Leïla. Toutes belles, Leïla impressionnait par sa chevelure noire, son regard adamantin et son visage de camé aux traits parfaits. Un jour, malgré toute l’attention que lui portaient les cavaliers d’or, elle fut attaquée par un fanatique, la défigurant à l’acide. Souffrant le martyre, elle resta hospitalisée loin de tout regard hormis sa proche famille. Quand elle fut revenue dans le monde des vivants, le plus dur restait à faire : se regarder dans une glace.

Après le choc, le désespoir, la tentation du suicide, Leïla relève la tête et décide de mener un combat contre la bête qu’elle est devenue. Pour ensuite, l’adopter après un long chemin de détermination, de résilience où un jaillissement de trésors ingénieux va l’aider à franchir un cap qui paraissait chimérique.

Quel regard réaliste porte la très jeune autrice Floriane Joseph sur ce monde de violence, d’intolérance et où l’apparence physique est un passeport de réussite pour les femmes ! Mais grâce à sa fluorescence verbale, elle sabre tout avec une plume qui éparpille les convenances et qui se met presque à genoux pour implorer plus de clémence envers les faibles, plus de fraternité envers les peuples, plus de spiritualité envers les êtres tout les hissant au-delà des religions. Le fanatisme est une barbarie, la bienveillance un sauf-conduit. Sans être une copie de François de Callières, le sultan est néanmoins un fin diplomate et nul doute que si l’histoire continuait il aurait peut-être une recette pour enfin négocier avec art avec les barbares, écoutant avec sagesse mais se refusant à se soumettre à l’impossible.

Par des arabesques de métaphores, l’autrice explore tous les méfaits du monde pour les porter vers une autre dimension plus lumineuse, comme si les ombres parcourant les ténèbres des âmes étaient une motivation pour faire scintiller encore davantage l'autre bon reflet  qui relèvent leur force. Que de vaillance et de sensualité dans ce personnage de Leïla : meurtrie, humiliée, martyrisée, brisée  mais libérée progressivement de tout par sa ténacité à aller au-delà des sempiternelles conventions et des menaces. Oui, elle continuera à danser, oui elle portera momentanément un masque pour augmenter le mystère qui l’entoure, oui elle va continuer à faire vivre son corps ; malgré son visage brisé, son corps de femme est intacte et le besoin de vibrer sous les caresses des hommes sera l’une de ses motivations pour un jour redevenir telle qu’elle était et même en mieux : un visage hachuré mais où jaillira un esprit renforcé et solidaire. Solidarité envers toutes ces femmes blessées, chassées, torturées ou tout simplement nées avec un physique disgracieux mais qui ont toute la grâce pour aimer et construire un destin. L’exil forcé de son esthétique va la porter vers les autres exilés de la terre, notamment avec la rencontre d’une autre princesse à la beau d’ébène, Nakia. Une amitié se forme pour mieux affronter l’intransigeance inhumaine qui coule dans les veines de ceux qui ne savant pas aimer.

Et puis, il y a Asmar, étudiant dans les arts plastiques, aussi énigmatique qu’empathique. Il est le portrait du prince charmant en version moderne, en gardant le mieux des contes d’antan  une fois déshabillé des carcans trop chargés de naphtaline. Prévenant, patient mais sans cette masculinité exacerbée, il est le double de Leïla, pour le meilleur et pour l’amour. Des nombreux amants passés, il n’en restera qu’un pour qu’un visage retrouve le sourire sous les cieux des plus ardentes fièvres qui font briller les étoiles.

« Le sultan se savait le maillon d’une chaîne pluriséculaire. Il fallait des écoles, toujours plus d’écoles, pour semer le savoir aux quatre coins du monde. Il fallait étouffer les génocides en apprenant les différences entre les peuples. Assurer à chaque individu ses droits à la liberté, au respect, au contrôle de son corps. Mettre l’humain au-dessus des religions. Il fallait calmer la violence à force de sonates et de tendresse, y éteindre le mal pour que les Hommes se réveillent un jour, un peu étonnés, et de découvrent éclairés, tolérants. Prêts à aimer. Les corps n’auraient plus à avoir honte des caresses, du miel, du plaisir. On ne craindrait plus ni péché ni enfer, car on saurait enfin, ayant mis tout ce temps à l’apprendre, cette vérité simple et essentielle : il n’est de mal que le mal que l’on fait aux autres ».

« Nous devons nous efforcer de ne pas fermer les yeux face au mal. Sinon, nous sommes perdus ».

« Iago, lâcha la poutre et atterrit devant elle : « Soyez plus forte que les barbares qui ont voulu vous briser, plus forte que les habitants qui vous réduisent à un fantasme, plus forte que les siècles qui vous ont tue et tuée de n’être pas la femme Belle, comme seule elle était permise. Soyez la princesse la plus monstrueusement belle de l’histoire » ».

La Belle est la Bête – Floriane Joseph – Editions Frison Roche/Collection Belles Lettres – Mars 2021

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