Souvenirs d'un médecin d'autrefois

vendredi 27 novembre 2020

 

Une noisette, un livre
 
Pour l’amour de Beyrouth
Ouvrage collectif
 


4 août 2020. En pleine crise du Covid une ville légendaire va tressaillir d’effroi : Beyrouth est soufflé en son cœur, encore une fois. Des explosions gigantesques anéantissent le port en faisant plus de deux cents morts et des milliers de blessés. Les images défilent sur nos écrans, les messages de solidarité se multiplient ; quelques jours plus tard des reportages montrent la formidable solidarité libanaise et les efforts des habitants pour tenter de continuer à vivre, pour beaucoup à survivre dans une société où l’économie a déjà broyé nombre de destins. Mais il en faut davantage à ce peuple pour se déclarer vaincu. L’aide internationale s’organise, les humanitaires apportent leur soutien, des volontaires viennent soulager corps et âmes.

La journaliste et écrivaine Sarah Briand vit et travaille en France. Mais une partie d’elle se trouve au Pays du Cèdre, ayant foulé depuis vingt-cinq ans ces terres orientales et, forcément, comment ne pas rester imprégné des fragrances d’une culture prodigieuse. Face à l’urgence, elle a convoqué trente-cinq personnalités qui ont accepté d’apporter leur soutien en écrivant un texte inédit sur Beyrouth et son pays, le Liban. Des témoignages divers, ceux qui y sont nés, ceux qui y sont allés, ceux qui en sont partis. Acteurs, écrivains, musiciens, journalistes, poètes… des artistes. Chacun dépose une pierre de mots, une pierre jetée dans l’immensité des souvenirs, une pierre lancée pour qu’elle fasse des petits cailloux, des cailloux à semer, les faire grandir, pour reconstruire. A chaque fois une émotion perceptible dans la délicatesse des pages de l’écrit. Un hommage et un formidable message d’espoir. Comme le souligne Sarah Briand « Le cœur de Beyrouth a explosé » mais c’est la solidarité, la participation de loin ou de près qui la fera « renaître une nouvelle fois de ses cendres ».

Pour chaque témoignage, un extrait. Et de ces extraits, une invitation à la lecture de ce livre qui, à chaque vente, contribuera à reverser deux euros à l’association OFFRE JOIE.

 

Isabelle Adjani : Aucun Libanais, aucune Libanaise ne veut vivre ni mourir martyr aux yeux du monde, et moins encore à ses propres yeux

Fanny Ardant : Ce cèdre que j’aimais sans savoir qu’il était le talisman d’un pays merveilleux.

Tahar Ben Jelloun : Quand je passe quelques jours à Beyrouth, je me sens chez moi. Je suis installé dans un livre, sans doute un roman, un gros roman avec des personnages qui quittent la réalité pour se remplir de mots et venir se poser devant vous au moment du café du matin.

Bernie Bonvoisin : En ce pays où la nature rime avec la beauté, c’est de nouveau l’heure de la douleur. Une nouvelle aube sur des regards perdus, sur des êtres partis sans raison.

Renaud Capuçon : J’ai confiance dans la capacité de ce peuple à se reconstruire et à créer les conditions d’un avenir meilleur.

Patrick Chauvel : Après un moment de stupeur, les Libanais sont descendus dans la rue et ont commencé à s’entraider. Déterminés à reprendre en main leur pays, sans l’aide de leur gouvernement, qui depuis des années ne cherche qu’à se maintenir en place au détriment de la population, prise en otage depuis quarante-cinq ans par des politiciens véreux qui jouent sur le vote identitaire.  

Louis Chedid : Mon Liban, c’est cet accent qui roulait des « rrrr » de ma chère maman quand elle me lisait le poème qu’elle venait d’écrire.

Boris Cyrulnik : Les Libanais sont aujourd’hui sur une crête étroite où ils peuvent basculer d’un côté ou de l’autre pour une pichenette, un incident mineur aux conséquences énormes.

Sophie Fontanel : On rêve les choses. Une fois qu’elles sont écrites, elles existent, et je possède presque une maison là-bas, sur cette côte abîmée par tant de choses.

Laurent Gaudé : Beyrouth n’est pas morte, mais c’est cette phrase qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai découvert les images de l’explosion. Aujourd’hui Beyrouth saigne, Beyrouth pleure. Mais les Libanais vont voir ce qu’est Beyrouth. Ils vont le voir à travers l’émotion de tous ceux qui – comme moi – sont passés par cette ville, l’ont aimée et ont décidé qu’il y aura toujours un peu de leur cœur dans les rues de Hamra ou d’Achrafieh.

Marie-Agnès Gillot : J’aime Beyrouth. J’aime le Liban. J’aime cet endroit, car il offre la liberté d’un monde qui n’existe nulle part ailleurs. Et pour toute femme libre comme j’aime l’être, Beyrouth est la ville où tout est possible.

Tania Hadjithomas Mehanna : Les rues qui pleurent, les murs qui reculent, les maisons qui se vident, les larmes jamais loin. Dire que je n’ai jamais vu autant de mains tendues, de bras serrés, de tristesses échangées dans une quintessence d’humanité qui serre les dents face au désastre.

Alexandre Jardin : Les gens sont venus. S’il y a la guerre demain, dansons ce soir ! Une émotion colossale me saisit. Et si c’était cela, l’intelligence du cœur ? Savoir fêter la vie, quoi qu’il arrive. Cette ville a le cœur intelligent.

Vénus Khoury-Ghata : Sourds-muets les murs, aveugles les fumées.

Dany Laferrière : Je me souviens qu’après le tremblement de terre de Port-au-Prince tout ce que j’attendais des gens, c’était un peu de tendresse. Aujourd’hui toute ma tendresse ve vers Beyrouth.

Marc Lambron : Je reste frappé d’une grande tristesse, comme une affliction familiale. La létalité insidieuse d’un virus, la fulgurance tragique d’une explosion, ce pourrait être vu par des déclinistes comme un prélude à l’Armageddon.

Jack Lang : Nous sommes en 2016, et je traverse les monts de la Bekaa. Les camps de réfugiés ont envahi tes collines. Tu ne mouftes pas. A la différence de bien des grands pays européens, tu ne t’insurges pas face à cette nouvelle vague migratoire. Tu décides de leur ouvrir les bras. Faisant fi des quotas, tu les héberges, coûte que coûte, avec les moyens du bord. Les réfugiés syriens représentent 30% de ta population. L’expression « terre d’accueil » prends avec toi tout son sens.

Yara Lapidus : Liban, t’es mon refuge/Repère en plein déluge/T’es mon ancre ma racine/La plus douce de mes épines/j’ai gravé dans du granit/Mes souvenirs en fuite/On riait sans ceinture/A huit dans la voiture/De fous rires en éclats/En criant YAMAMA YAMAMA

J.M.G. Le Clézio : Cette ville ancienne, à laquelle se rattachent tant d’éléments de l’histoire de l’Europe et du monde entier, a su traverser les périodes les plus sombres avec courage et détermination.

Amin Maalouf : Pour que le Liban puisse/Cette fois encore, se remettre debout/Et relever ses murs, et panser ses blessures/Qu’il sache surmonter sa détresse/Sa douleur et son abattement/Qu’il sache triompher/De la férocité du monde/Et aussi de ses propres démons. De notre havre millénaire devenu soudain/Un monument à la folie des hommes/Et le temple de leur colère/Une prière vers le Ciel.

Charif Majdalani : Ce qui a été réduit à néant le 4 août, c’est bien la créativité et la vitalité d’un peuple, vitalité incarnée par ses artistes et ses créateurs et par leur désir acharné, désespéré parfois, de continuer à exister et à faire exister ce pays à travers l’art, la beauté et l’intelligence, et à travers un génie qui leur est propre.

Diane Mazloum : Parce qu’il y a eu ce témoignage d’une femme le soir à la télévision, qui racontait qu’après la déflagration son fils l’avait appelée. Il était coincé sous les décombres. Ils se sont parlé plusieurs fois, puis la batterie du portable du jeune homme s’est vidée. La mère se retenait très fort pour ne pas pleurer devant tout le monde, les lèvres tremblantes, elle disait qu’elle sentait que son fils était encore en vie, qu’elle pouvait entendre les pulsations de son cœur, que les secouristes allaient bientôt le retrouver. Il a été retrouvé le lendemain matin, il était mort.

Alexis Michalik : Je me suis surpris à voir ici des églises cohabiter avec des mosquées. Je découvrais, fasciné, cette sorte de melting-pot de langues, de religions, de rites, de cultures, ce mélange aux accents orthodoxes, byzantins, arabes, perses, chrétiens, musulmans, ce constant statu quo, jusque dans l’organisation du gouvernement, cette acceptation désabusée d’une corruption généralisée, parce que, après toutes ces guerres et ces destructions, il fallait vivre, essentiellement, cet amour de la fête, des musiques qui me rappelaient les complaintes grecques accompagnées d’un violon et d’un bouzouki, cet accueil de l’étranger, ces origines si variées qui finiseent par se retrouver finalement, autour de la table et d’une cigarette.

Kamal Mouzawak : Les immeubles se sont effondrés, les maisons se sont éventrées, les pierres entassées… Ce sont les Beyrouthins qui les ont construits à la base… et qui pourront le faire encore… s’ils ont encore la foi. Le courage. Et la force de refaire Beyrouth.

Alexandre Najjar : Il y a des villes masculines et d’autres féminines. Beyrouth est une femme, de toute évidence, comme celle qui porte le flambeau de la Liberté, comme celle qui, dans le fameux tableau de Delacroix, guide la révolution. On dit que cette ville a été détruite et reconstruite à sept reprises. C’est donc la huitième fois qu’on la défigure. Mise à genoux, elle se relèvera, courageuse et digne, malgré ses blessures et ses cicatrices…

Nahida Nakad : Depuis l’effondrement économique et politique du Liban, suivi de l’explosion du port de Beyrouth, une question me hante. Un pays peut-il mourir alors que son peuple est toujours vivant ? Elle me hante parce que je sais que la réponse peut être : oui. Les Kurdes, les Palestiniens, pour ne citer que les plus proches de Beyrouth, n’ont pas ou plus de pays. D’autre part, il  ya plus de Libanais à l’extérieur qu’à l’intérieur (…) Beyrouth et les Libanais ont compris qu’ils ne pourront plus s’en sortir tout seuls. Comme moi, ils ont peur que leur pays meure. Ils nous appellent à l’aide, tendons-leur la main.

Christophe Ono-Dit-Biot : B comme Beyrouth et comme beauté d’une promesse de coexistence entre les peuples, dans une ville mosaïque où les clochers carillonnent près des minarets qui muezzinent, sans jamais réveiller les dormeurs phéniciens du Musée National, bien bordés dans leurs sarcophages de marbre d’un blanc scintillant. Soudain B comme Boum et B comme Blast, et Beyrouth, cette fois, vraiment à l’envers, cherchant de nouveau sa route, son itinéraire bis, dans les gravats d’un Orient devenu hiéroglyphique à force d’être compliqué. On voudrait être là-bas pour lui tenir la main.

Maria Ousseimi : Beyrouth est une vieille dame qui ne se fait aucune illusion et a oublié de se construire, trop occupée à vivre/Beyrouth crée/Beyrouth vit/Beyrouth enfante l’exil.

Katherine Pancol : Il est interdit d’oublier le Liban. Interdit d’oublier ce qui est arrivé ce mardi 4 août 2020.

Patrick Poivre d’Arvor : Tout arbre, même blessé, même atrophié, peut repousser. C’est le destin du Cèdre libanais. Et c’est celui d’un peuple que j’embrasse ici affectueusement.

Daniel Rondeau : Beyrouth parle le français qui résiste, un français poétique, utilisant toutes les nuances et les fantaisies de notre langue, qui permet à chacun d’entrer dans des rêveries communes, de ne pas réduire le monde à des clichés ou à des clips, ni la vie à la politique, ni la politique à la propagande.

Sylvia Rozelier : Beyrouth/Défigurée, éventrée, détruite-reconstruite/Décomposée-réhabilitée-recomposée/Elle n’en finit pas de mourir et de renaître/De perdre la mémoire.

Elie Sab : Enfant de la guerre et d’un pays incertain, je connais mieux que quiconque cette force qui nous vient quand on croit avoir tout perdu, insufflée par l’amour, qui dicte de ne jamais abandonner ce que l’on aime.

Emanuele Scorcelletti : Ne pas oublier que l'équilibre est précaire entre sourire et tristesse et que tout peut basculer, si vite, si fort.

Jacques Weber : J’ai connu Beyrouth en fin de guerre ; aux ruines des quartiers populaires ou résidentiels on accrochait le linge, on battait les tapis et tendait des vélums de fortune, parfois d’une façade éventrée on entendait la radio et la friture, la maman qui grondait le petit… A Baalbek, le cèdre et l’olivier remuaient encore dans les ruines de la cité sportive, des enfants chahutaient en riant. Voilà ce qui me revient le cœur serré en pensant à Beyrouth et son pays, le Liban.

 

Pour l’amour de Beyrouth – Ouvrage collectif sous la direction de Sarah Briand – Editions Fayard – Novembre 2020

 

Cette chronique est longue. Pourtant, je ne peux m’empêcher de rajouter encore quelques phrases. Elles viennent d’un poète, un romancier, un historien, amoureux fou du Liban après son Voyage en Orient : Alphonse de Lamartine. En 1838, il entonnait un Chœur des cèdres du Liban.

 

« Aigles qui passez sur nos têtes

Allez dire aux vents déchaînés

Que nous défions leurs tempêtes

Avec nos mâts enracinés

Qu’ils montent, ces tyrans de l’Onde

Que leur aile s’amante et gronde

Pour assaillir nos bras nerveux !

Allons ! leurs plus fougueux vertiges

Ne feront que bercer nos tiges

Et que siffler dans nos cheveux »

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