dimanche 1 novembre 2020

 

Une noisette, un livre
 
Asmara et les causes perdues
Jean-Christophe Rufin
 

 


Après avoir lu le bouleversant « Tous, sauf moi » de Francesca Melandri, je ne pouvais quitter l’Abyssinie et j’ai enfin sorti de ma montagne livresque  « Asmara et les causes perdues » de Jean-Christophe Rufin  pour m’enivrer à nouveau d’histoire, avec cette fois-ci, un supplément voyage.

En 1985 pendant le Derg et la terrible famine en Ethiopie, un jeune humanitaire français, Grégoire,  débarque à Asmara (à l’époque l’Erythrée est toujours sous la domination de son voisin et en lutte pour l’indépendance) pour diriger une équipe et installer un camp à la ville frontalière de Rama. Il fait rapidement la connaissance d’Hilarion Grigorian, un Arménien d’Erythrée né en 1900, ancien marchand d’armes et véritable mémoire vivante qui est le narrateur de ce roman en forme de journal. Grégoire, idéaliste et n’ayant pas encore trouvé ses marques va se faire aider par Hilarion qui n’attendait que cette arrivée miraculeuse pour occuper ses jours et va se faire un malin plaisir à conduire l’humanitaire, pour qui il se prend d’affection, selon ses fantaisies et peut-être quelques divins mensonges. Il va lui trouver quelques singuliers autochtones pour l’aider dans ses démarches, notamment un étrange et jeune adolescent : Efrem, un orphelin vif d’intelligence qui semble doté d’une préscience en communiquant avec les esprits. Mais au camp de base, tous les humanitaires ne sont pas venus avec la seule motivation philanthropique et un changement important intervient lorsque Esther, l’amie de Grégoire, une Erythréenne rencontrée sur place, va être enlevée…

Entre les descriptions peintes à la plume de la beauté éthiopienne et érythréenne s’étend un long chemin sur les errances des causes humanitaires où les organisations doivent jongler entre secours aux populations et risques d’entretenir la manipulation des pouvoirs politiques. Avec parfois, un simple pont séparant altruisme et égoïsme, compassion et opportunisme chez les représentants des causes justes mais se transformant en causes perdues. Toute une dichotomie transcrite dans ce récit aux allures romanesques mais pigmentant la réalité par d' implacables métaphores.

Impossible de séparer l’histoire de l’Abyssinie – si ancienne en cette corne d’Afrique qui loge la fameuse vallée du Grand Rift – de celle de l’Italie, tant sur le plan géopolitique que culturel, et le regard que pose l’écrivain sur l’architecture qui orne Asmara est un véritable tableau. Quant à la référence de l’opéra Aïda avec l’ensablé Ricardo, loin d’être fortuite. Point d’exotisme de façade mais des effluves chargés d’immensité, de spiritualité – même sans avoir foulé le sol d’Ethiopie comment ne pas penser aux églises rupestres bâties dans les falaises du Tigré oriental – et une réflexion sur le dilemme perpétuel entre sauver des vies et se voir  transformer en des marionnettes actionnées par le machiavélisme de dirigeants impitoyables, font de ce roman une excellente et raffinée observation sur les conflits intérieurs des volontaires de l’engagement humanitaire face aux affres des noirceurs de la guerre, des dictatures et des desseins personnels des uns et des autres.

Dans un registre similaire, ô combien « Asmara et les causes perdues » m’a remémoré un autre roman de Jean-Christophe Rufin : « Check-point » ; de l’Abyssinie on passe à la Bosnie et l’idéaliste Maud a quelques points communs avec Grégoire… avec la sempiternelle question sur comment apporter de l’aide aux populations des zones de guerre et autres infamies.

« L’âme est ainsi faite que vous vous habituez à toutes sortes d’injustices lorsqu’elles paraissent constituer la trame même de la vie ».

Asmara et les causes perdues – Jean-Christophe Rufin – Editions Folio – Mars 2001

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