lundi 9 novembre 2020

 

Une noisette, un livre
 
Nés de la nuit
Caroline Audibert

 


Il était une fois une jeune femme écrivaine et amoureuse de la nature qui depuis l’enfance était fascinée par le loup, son père ayant été le premier à retrouver la dépouille de cet animal dans le parc du Mercantour. Ce qui signifiait le retour du loup en France. Après avoir signé un foisonnant document en 2018 « Des loups et des hommes » dans la collection Terre Humaine, elle s’est transformée en loup, une Leto du XXI° siècle pour donner naissance à un roman absolument merveilleux et d’une originalité absolue, tant pour l’histoire que pour l’écriture.

De sa main devenue patte et avec peut-être le soutien d’Amorak, elle pose des mots dans les pas d’un loup qui raconte sa vie, sa mort, sa résurrection…

Quelque part dans les Alpes, un loup découvre la vie. Il joue avec ses frères et apprend avec sa Mère cette singulière aventure de bouger, manger, respirer un grand air, rencontrer fourmis au sol et chamois à chasser. De mousse en feuillages, il sème son empreinte dans la forêt à l’instar des animaux qui la peuplent. Jusqu’au jour où surgit un autre animal. Inconnu et bizarre. Il marche sur ses deux pattes et sa face n’a pas de poil. Il tient une espèce de grand bâton, vise sa Mère et ses frères. Un bruit assourdissant puis plus rien, depuis sa cache dans un tronc d’arbre, le loup regarde  l’homme emporter sa Mère. Sauvé par un arbre. Puis par son Père ; son clan se reforme. Terre en mouvement, nature en mouvement.

De ce monde sauvage, Caroline Audibert en fait un terreau d’écriture, l’encre devenant humus, la page se transformant en versants, tantôt ubac, tantôt adret, les mots ondulant dans la mouvance d’un pelage fauve. Entre deux pages, on en vient presque à apercevoir ce loup qui raconte ses jours, ses nuits ; ses craintes, ses amours, sa chasse ; l’envie des brebis mais sa méfiance envers les gros chiens blancs. Et son adoration pour sa forêt et sa montagne qu’il arpente au fil des saisons en humant les odeurs tout en mettant ses cinq sens dans une vigilance absolue. Surtout envers l’homme. Un peu de Montaigne car le loup n’est peut-être pas si barbare que l’homme dit civilisé.

Ce loup a quelque chose de mythologique. Quand il trépasse, encore il passe. Il se métamorphose ; comme l’écrivait Ovide « toutes les formes sont faites pour aller et venir ». Mais c’est surtout une transformation proche du mirifique qui va entraîner le lecteur dans une autre dimension avec en transparence une philosophie à la Pythagore. L’âme du loup va devenir immortelle et se fondre dans des corps différents jusqu’à redevenir à nouveau un loup à travers les cycles de vie et de mort. Une renaissance perpétuelle par la transmigration de l’âme.

Véritable ode à la nature et à tout ce qu’elle déploie autour d’elle, ce roman est également une ode à la vie et à ses espèces qui font de la terre un mystère, une tragédie et un émerveillement. Un combat aussi. 

Un livre peut-être né la nuit et qui mérite d’être mis au grand jour. Des ombres du crépuscule aux lumières de l’aube, c’est une symphonie pastorale avec pour chef d’orchestre un loup évoluant sur les cimes alpines et selves multiséculaires.

« Nous sommes plus que bouches et pelages reliés à la longue nuit laiteuse. La vie d’un loup advient quand le ciel, quand les arbres, quand le vent, quand les humeurs lui disent combien ils le veulent, lui, gardien des forêts et des sources ».

« Seule la montagne a vécu assez longtemps pour écouter ce chant, l’écouter vraiment. Le ciel devient plus profond, la nuit se hâte, les arbres poussent des cris silencieux, les vallons s’ouvrent, libèrent des parfums enfouis, les torrents cessent de mugir. Les animaux s’unissent à la nuit. Les solitudes se dissipent. Tout écoute ce chant qui enfle au-dessus des arbres et court après les étoiles, ce cri de la vie même. Les hommes ne savent rien de tout cela. Ils ne sont pas amoureux de la terre ».

« Nous sommes des loups. Si l’un de nous tombe, d’autres se relèvent. Ensemble, nous ne mourrons pas. Nous venons de la nuit. Nous allons parmi les bêtes et les hommes, nous allons parmi les chants de la forêt, à peine séparés de la terre, pleinement nous-mêmes. Vieux peuple qui revient, qui grandit, qui lutte. Je foule la terre des ancêtres, louve farouche contre la terre aux pelages chamarrés ».

Nés de la nuit – Caroline Audibert – Editions Plon – Novembre 2020

 

 

2 commentaires:

Unknown a dit…

Je me réjouis à la lecture de votre texte, un très bel hommage au livre de Caroline Audibert et à cet animal extraordinaire.

Squirelito a dit…

Merci pour votre retour. Un très beau roman et qui remet la nature dans toute sa valeur.

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