lundi 6 juillet 2020

Une noisette, un livre

 

La femme, la vie, la liberté

Leïla Mustapha – Marine de Tilly

 

 

« Jin, Jiyan, Azadi » « La femme, la vie, la liberté »

Plus qu’un slogan, plus qu’une devise. Un cri de vie pour la brigade féminine (YPJ) lorsqu’elle a rejoint l’Union de protection du peuple (YPG), la branche armée du PYD, le Parti de l’union démocratique créé en septembre 2003 en Syrie. Cette unité est devenue après la bataille de Kobané le mouvement incontournable dans la lutte contre le terrorisme. 

Leïla Mustapha n’est pas une combattante, du moins pas avec des armes. Ses munitions sont sa foi, ses convictions, son souhait de voir toutes les communautés syriennes vivre en paix, son courage, sa détermination. Elle fait partie de ces personnes qui continuent à voir la lumière dans l’obscurité, à croire en la vie dans un ossuaire, à espérer à travers les pleurs, à s’imaginer chanter l’allégresse après avoir crié son désespoir. Leïla Mustapha garde la tête haute même quand les bras lui tombent, elle reste femme et fière de l’être quand on lui impose de force le niqab. Kurde, native de Raqqa, elle va voir sa ville anéantie, sera obligée de fuir et, contre toute attente, après la défaite de Daesh, elle deviendra maire. C’est cette histoire qu’a décidé de raconter la reporter Marine de Tilly en apportant le témoignage direct d’une femme qui n’a jamais cessé de clamer sa liberté dans la clanique et totalitaire Syrie. Tel le roseau, la gazelle n’a pas plié devant le « lion de Damas » ni devant les hyènes au drapeau noir.

Sans chercher à tire les larmes, sans tomber dans le pathos – pas besoin d’en faire plus dans ce pandémonium syrien – Leïla Mustapha raconte son enfance heureuse, puis la frénésie de voir dans son pays souffler un vent de liberté lorsque les premières manifestations en mars 2011 apparaissent à Deraa. Mais très vite, les espoirs tombent, les étincelles d’un renouveau vont être allumées par des groupes terroristes avec la passivité étrange du régime. Raqqa se transforme en arène de la mort. L’horreur dans toute son abomination. Puis, des nouveaux combattants préparent une alternative, notamment les Kurdes avec dans ses troupes des femmes qui se surpassent lors des affrontements. Dans les ruines, les cendres d’une Raqqa  libérée – mais encore terrifiante – Leïla, plus déterminée que jamais, va progressivement intensifier son combat humain : celui de rassembler et de préparer un nouveau chemin vers la liberté.

La préface et la postface de Marine de Tilly apportent une plus-value sur le plan géopolitique, décortiquant le rôle ambigu de Bachar el Assad et les stratégies machiavéliques de Poutine et Erdogan. Quant à Leïla Mustapha elle incarne la fraternité dans sa plus belle définition : le sens des valeurs, sachant garder une place dans son cœur pour les disparus, n’oubliant pas mais sans laisser une haine vengeresse, prônant la tolérance – elle cite aussi bien des vers du Coran qu’une phrase de Jean-Paul II – et laissant derrière elle les peines pour tenter de réparer les vivants. Cette jeune femme est l’exemple même de ces êtres lumineux qui vous redonnent foi en l’humanité et nous apprennent combien l’humilité est à construire chez les gens heureux.

« Le spectacle est livide, il étreint à chaque carrefour. On dit que les ruines sont silencieuses mais ici, elles hurlent les histoires de fantômes qui les hantent. Ici, l’histoire et la géographie de guerre sont inscrites dans chaque rue, sur chaque maison ».

« On ne sépare pas un peuple dont les larmes sont partagées ».

« Je m’appelle Leïla Mustapha, je suis née l’année du « digma » et je ne sais pas pourquoi. Ce que je sais, c’est que ni le lieu ni le moment d’une naissance, d’une source ou d’une aurore ne tombent au hasard. Je suis venue au monde pour faire quelque chose, et quand la révolution a éclaté dans mon pays j’ai compris que cette chose, pour moi, ce serait Raqqa ».

 « Si se battre témoigne d’un grand courage, détruire est la signature des lâches ».

 « L’œil pour œil n’a jamais fait que des ravages » Abou Massab

« Le long cauchemar de l’opération « Colère de l’Euphrate », les combattants arabes et leurs camarades kurdes avaient tissé des liens solides. La guerre prend beaucoup mais elle apporte au moins deux choses : des valeurs à moitié oubliées, et des amitiés inhumaines entre frères d’armes. N’en déplaise aux antiques et aux romantiques, la guerre n’est pas le cœur ardent de l’expérience humaines, elle n’a rien d’une belle aventure. La guerre est un enfer. Mais à grands coups d’intelligence, de patience et d’humanité, elle peut s’avérer être le lieu paradoxal de l’entente ».

La femme, la vie, la liberté – Leïla Mustapha / Marine de Tilly – Editions Stock – Février 2020

Avec les remerciements à « lecteurs.com » de la Fondation Orange pour cette lecture.

 

 

 


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