Souvenirs d'un médecin d'autrefois

jeudi 13 février 2020


Une noisette, un livre


 L’Âne mort

Chawki Amari




Un conte pour dévaler les escaliers du genre humain, très inspiré de celui d’Apulée (II° siècle ap. J.C.)  « L’Âne d’or » où se mêlent philosophie et magie, le tout en onze chapitres ou plutôt onze livres. Apulée, né justement à M’daourouch en Algérie, pays où se déroule la fable de Chawki Amari.

Si quelques brigands rodent, le personnage commun est l’âne et l’apparition à la fin du livre de Lucius dans des rôles un peu inversés. Sinon, tout tourne autour d’un phénomène polysémique : la gravité.

Un trio prend la route dans une voiture bleue qui ne roule qu’une heure sur deux. Deux hommes et une femme, Lyès, Mounir, Tissam, au départ que l’on croit sans âge, partent avec dans leur coffre un curieux passager : un âne mort. Un âne qui aurait été noyé par l’un d’entre eux alors qu’ils passaient chez le commissaire Bernou. Problème : le commissaire tient à son âne comme à la prunelle de ses yeux. Le trio s’enfuit mais rapidement des barrages sont posés dans tout le territoire pour tenter d’intercepter les fugitifs avec le bourricot. Ils vont tour à tour rencontrer des personnes aussi étranges que bizarres, comme Slim qui s’amuse à amplifier l’érosion des montagnes en poussant des rochers dans le vide ou Izouzen, un curieux libraire qui vit dans un sanctuaire de livres et se prend pour un clone d’Henri VIII avec ses épouses.

D’une apparente légèreté, ce récit tourne en fait sur la lourdeur du monde, d’une société bouffonne  où chacun peut être le miroir de l’autre et inversement, dans les mirages de ce que l’on croit voir et de ce que l’on voit sans croire. C’est aussi la mise en parallèle de l’insignifiant et du gigantisme, une histoire de trois personnages roulant dans l’immensité des montagnes de Kabylie pour montrer l’absurdité du monde et la fuite du temps. Au milieu de cette chaîne, un étroit passage pour la liberté et ainsi, enlever un poids à la lourdeur de l’humanité.
Cocasse et tragique, léger et grave, ce roman picaresque est un parcours original sur les paradoxes de la vie. Et de la plus ou moins insoutenable/soutenable légèreté des êtres.

« Comment vivre avec légèreté dans un espace qui nous plombe ? »

« Peut-on imaginer un monde sans gravité, où tout, sujets et objets, flotterait dans l’air sans attaches ? Difficile, mais les utopies font avancer l’histoire et les réalités la plombent, ça marche comme ça. Combien pèse un kilo de plomb ? »

« Même les gens sont penchés, ils vivent penchés dans un village en pente, ce qui ne se voit pas forcément chez eux puisque tout est penché, mais qui s’observe une fois qu’ils sont sur du plat ».

« Un livre ne dort jamais, il se repose »

L’Âne mort – Chawki Amari – Editions de l’Observatoire – Janvier 2020

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