Une noisette, un livre
L’Âne mort
Chawki Amari
Un
conte pour dévaler les escaliers du genre humain, très inspiré de celui
d’Apulée (II° siècle ap. J.C.)
« L’Âne d’or » où se mêlent philosophie et magie, le tout en
onze chapitres ou plutôt onze livres. Apulée, né justement à M’daourouch en
Algérie, pays où se déroule la fable de Chawki Amari.
Si
quelques brigands rodent, le personnage commun est l’âne et l’apparition à la
fin du livre de Lucius dans des rôles un peu inversés. Sinon, tout tourne
autour d’un phénomène polysémique : la gravité.
Un
trio prend la route dans une voiture bleue qui ne roule qu’une heure sur deux. Deux
hommes et une femme, Lyès, Mounir, Tissam, au départ que l’on croit sans âge,
partent avec dans leur coffre un curieux passager : un âne mort. Un âne
qui aurait été noyé par l’un d’entre eux alors qu’ils passaient chez le
commissaire Bernou. Problème : le commissaire tient à son âne comme à la
prunelle de ses yeux. Le trio s’enfuit mais rapidement des barrages sont posés dans tout le territoire pour tenter d’intercepter les fugitifs avec le
bourricot. Ils vont tour à tour rencontrer des personnes aussi étranges que
bizarres, comme Slim qui s’amuse à amplifier l’érosion des montagnes en
poussant des rochers dans le vide ou Izouzen, un curieux libraire qui vit dans
un sanctuaire de livres et se prend pour un clone d’Henri VIII avec ses
épouses.
D’une
apparente légèreté, ce récit tourne en fait sur la lourdeur du monde, d’une
société bouffonne où chacun peut être le
miroir de l’autre et inversement, dans les mirages de ce que l’on croit voir et
de ce que l’on voit sans croire. C’est aussi la mise en parallèle de
l’insignifiant et du gigantisme, une histoire de trois personnages roulant dans
l’immensité des montagnes de Kabylie pour montrer l’absurdité du monde et la
fuite du temps. Au milieu de cette chaîne, un étroit passage pour la liberté et
ainsi, enlever un poids à la lourdeur de l’humanité.
Cocasse
et tragique, léger et grave, ce roman picaresque est un parcours original sur
les paradoxes de la vie. Et de la plus ou moins insoutenable/soutenable
légèreté des êtres.
« Comment vivre
avec légèreté dans un espace qui nous plombe ? »
« Peut-on imaginer
un monde sans gravité, où tout, sujets et objets, flotterait dans l’air sans
attaches ? Difficile, mais les utopies font avancer l’histoire et les
réalités la plombent, ça marche comme ça. Combien pèse un kilo de
plomb ? »
« Même les gens
sont penchés, ils vivent penchés dans un village en pente, ce qui ne se voit
pas forcément chez eux puisque tout est penché, mais qui s’observe une fois
qu’ils sont sur du plat ».
« Un livre ne dort
jamais, il se repose »
L’Âne mort – Chawki
Amari – Editions de l’Observatoire – Janvier 2020
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