mercredi 22 septembre 2021

 

Une noisette, un livre
 
Les enfants de Cadillac
François Noudelmann

 


Récit qui n’a rien d’une balade familial en voiture de luxe…François Noudelmann retranscris sur le papier une épopée génétique, la sienne, dans la pire histoire Européeenne du XX° siècle : les deux guerres mondiales. Celle de 14-18 avec son grand-père Chaïm puis celle de 39-45 avec son père Albert. D’origine juive, ils ont dû affronter un antisémitisme viscéral qui atteignit l’horreur absolue lors du III° Reich.

Le premier arrivera de Lituanie au prix d’efforts épouvantables – sempiternelle tragédie des exilés – pour être quelques années plus tard enrôlé dans les tranchées et recevoir les émanations d’une bombe chimique. Une partie du cerveau endommagé, il sera désormais qualifié de « fou » et passera la majeure partie de sa vie en hôpitaux psychiatriques dans des conditions qui peuvent parfois rappeler celles de prisonniers de guerre. De la guerre justement, il ne sera jamais reconnu comme ayant combattu pour la France…

Le deuxième, bien que né en France, fera un jour le parcours inverse pour se sauver du joug nazi, une odyssée glaciale faite de résistance et d’efforts surhumains mais qui laissera des traces à vie jusqu’à son suicide par armes à feu. Un héritage lourd que l’auteur essaie de montrer sans pour autant s’attribuer l’héritier, tout au moins loin de lui l’idée de s’en servir pour une quelconque mise en avant personnelle. Ce sont plutôt, au contraire, de vastes réflexions sur la question de la judéité et du poids de l’histoire dans les gènes.

Quelques petits bémols : il ne s’agit en aucun cas d’un roman mais d’un témoignage personnel, les personnes évoquées sont réels, les faits sont simplement présentés différemment d’un ouvrage purement historique. Petite incompréhension lorsque François Noudelmann déclare en page 157 qu’il a été un mauvais élève jusqu’à 17ans cumulant les redoublements et qu’en page 190 il annonce qu’il entrait en classe de terminale à…17 ans. Et je doute que peu ont été nombreux les Français pour partir à la mer en été ou faire du ski en hiver pendant la deuxième guerre mondiale (page 137)…

Cela dit l’ensemble reste un livre très riche en faits historiques avec une narration qui décrit parfaitement l’horreur des guerres, aussi bien pour les combattants que pour les civils. Et tout se qui en découle même quand les canons demeurent muets. Témoignage qui retrace celle d’une époque mais dont les fantômes rodent toujours, l’auteur craignant, à juste titre, le retour des démons dans l’intolérance souvent dénoncée en géométrie variable… Remarquablement écrit et documenté, un ouvrage de plus à découvrir pour tous les passionnés d’histoire, de géopolitique et de ces histoires qui se collent à celle de l’universalité du monde.

« La guerre a été aussi une « école de la vie », dis-tu, car elle t’a fait voir l’humanité nue et crue, et tu n’es pas vraiment un humaniste après avoir compris ses logiques grégaires. Dans les situations exceptionnelles, le vernis social, si fragile, s’écaille et les individus se relèvet lâches, menteurs, généreux ou courageux ».

« Né en France, n’ayant jamais été menacé, je ne saurais porter ni revendiquer cette mémoire sans imposture. Les enfants de naufragés et de rescapés s’octroient parfois un titre à bon compte, tant le prestige victimaire est devenu prisé en ces temps de contrition et de réparation. La remontée dans le passé traumatique des familles, des groupes, des « races » encourage chacun à se définir comme « descendant » au point que les individus s’érigent en représentants de générations qui remontent à plusieurs siècles. Les handicaps sont hérités, certes, quand ils touchent des familles immigrées ou des populations stigmatisées, et cette inégalité relève de la politique sociale. En revanche, la définition de soi appartient au monde imaginaire de la psyché ».

Les enfants de Cadillac – François Noudelmann – Editions Gallimard – Août 2021

 

 

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