Souvenirs d'un médecin d'autrefois

vendredi 30 juillet 2021

 

Une noisette, un livre
 
L’île du couchant
Gilbert Sinoué

 


En avril 1672 lors d'une fantasia Moulay Rachid, celui qui instaura la dynastie des Alaouite et qui est toujours au pouvoir au Maroc, meurt accidentellement ; son demi-frère Moulay Ismail va monter sur le trône et devenir le nouveau sultan et commandeur des croyants. Va s’ouvrir une période où la puissance marocaine tendra vers l’apogée ; à sa mort en mars 1727, le royaume est unifié et étendu malgré les innombrables rivalités de cour et de harem.

Cette « Île du couchant », titre qui fait référence au nom que donne le monde arabe au royaume « Jazîrat al-Maghrib », est le premier tome d’une trilogie qui s’étendra jusqu’en 1912 et déjà la suite de cette épopée porte un nom « Le bec de canard »… plus sibyllin on ne peut point, à moins que la narration se porte sur le Neukamerun…

A tout bon roman historique, un personnage de fiction haut en couleurs est incontournable. Là, c’est le médecin du sultan qui est le conteur, Casimir Giordano, un français ayant embarqué un jour dans le port de Marseille pour ne jamais revenir sus ses terres et épouser Fatima, une vaillante femme mère d’un petit garçon, rencontrée dans le dispensaire installé pour accueillir les malheureux patients victimes d’une terrible épidémie de peste. A l’époque plusieurs régions avaient été confinées… l’histoire, perpétuel renouvellement.

Entre immersions dans les couloirs de palais, incursions sur les champs de batailles et chroniques berbères, c’est une merveilleuse photographie sur une partie de l’histoire du Maroc avec également ses relations avec l’Europe, le Royaume-Uni, la France et l’Espagne, ce dernier pays ayant chassé – dans le meilleur des cas – en 1492 ceux qui refusaient de se convertir au catholicisme, aussi bien les conquérants musulmans que les natifs juifs. Relations qui furent les prémices d’une colonisation. Mais en attendant les passages sur la rencontre entre la finesse de  la diplomatie marocaine et le décorum du Maître de Versailles sont d’une gourmandise verbale exquise.

Autre point marquant, l’écrivain a offert de belles fenêtres sur le rôle des femmes, tant sur les origines du royaume que sur le rôle politique des épouses ou des filles et permet ainsi de souligner leur importance dans les temps anciens, une réalité trop souvent occultée.

« Je tiens votre requête pour un honneur, monsieur de Raimondis, et un avantage : le savoir est la seule matière qui s’accroît quand on la partage. Sachez déjà que mon pays est un vieux pays et qu’il possède un passé. Un passé aussi dense que le vôtre ».

« Comme le disait feu Gabriel Naudé, le plus célèbre de nos bibliothécaires, il n’existe aucun moyen plus honnête et sûr pour s’acquérir  une grande renommée parmi les peuples que de dresser de belles et magnifiques bibliothèques pour ensuite les vouer à l’usage public ».

L’île du couchant – Gilbert Sinoué – Editions Gallimard – Juin 2021

mardi 27 juillet 2021

 

Une noisette, un livre
 
Au royaume de la lumière, un voyage en Himalaya
Olivier Weber

 


Mon royaume pour un cheval ! Ou peut-être pour un livre, celui d’Olivier Weber qui relate un beau voyage pour revenir plein d’usage et d’apaisement d’un royaume qui n’existe plus sur la mappemonde mais toujours bien présent dans le cœur de ses sujets : une enclave portant le nom d’un cheval sauvage : le Mustang, territoire stratosphérique coincé entre le rebelle Tibet et l’ogre de Chine, là où a coulé l’encre mais aussi malheureusement beaucoup de sang.

Jusqu’en 1992, ce « royaume interdit », pour reprendre le titre du livre de Michel Peissel, a laissé porte close aux étrangers. Depuis, en échange d’une autorisation payante, d’aucuns peuvent aller à la rencontre de ces montagnes sauvages qui hébergent un peuple résistant à la vésanie technologique et des ses affres ; reste à savoir pour combien de temps encore : 6000 âmes contre 1 milliard de l’autre côté de la frontière.

Olivier Weber est parti à la rencontre du peuple de Lo et de ces lieux de pierres, de roches, de pics et de torrents pour reprendre de la hauteur et évacuer les incessants  tourbillons du monde. Lui, le reporter de guerre qui a couvert moult conflits en Asie, en Afrique, qui a failli recevoir des centaines de coups létaux, qui a côtoyé le pandémonium sur terre, milité dans l’humanitaire, avait besoin de ressouder son esprit par un bain de méditation par delà les nuages.

« Au royaume de la lumière », un titre pour éclairer chaque lecteur et rendre hommage aux êtres qui tentent de rester humains dans ces précipices multipliés par la course à la modernité,  l’argent, la vitesse et cette envie perpétuelle de vouloir dominer l’autre. Là, c’est un envol vers la sagesse, la lenteur, la bienveillance, l’attention portée à ses semblables en préconisant l’humilité salvatrice.

Le journaliste écrivain est parti avec deux compagnons, Pierrot et Gérard, ce dernier souffrant de cécité. Et pourtant, l’aveuglement est loin de lui, ses dons pour voir le monde autrement sont uniques et sa sensibilité pour l’ouïe et l’odorat fait qu’il sent, ressent ce que les autres ne voient et sait écouter ce que les gens n’entendent plus. Une leçon de courage enveloppée dans l’apprentissage constant de la vie. Ceux qui avaient vu le documentaire réalisé par l’écrivain « Un œil sur le toit du monde » et diffusé sur France5 il y a environ deux ans, auront pu constater toute la vaillance de cet homme qui dans le noir transmet des forces d’énergie solaire.

Raconter ce livre serait une ineptie et ma pauvre plume serait un bien trop pâle reflet par rapport à toute la luminosité qui rayonne dans ce bréviaire convertit en un « chant polyphonique de l’humanité, de l’animalité et de la minéralité ». Sachez simplement qu’en tournant les pages, celui qui a vu la géhenne se répandre sur la terre, qui a vécu les scènes de guerre dans l’impitoyable barbarie humaine, partage ce grand air salvateur, relate le véritable « vivre ensemble » - celui réellement pratiqué dans cette solidarité des terres rudes – et porte un éclairage pour nettoyer nos neurones des jets mercantiles incessants et autres filtres empoisonnés par la main d’un diable aux multiples visages.

A l’instar de la description poétique de la goutte d’eau tombant sur une roche, à la lecture de ce livre chaque mot viendra se coller dans les entrailles de votre corps, descendra dans les rides de l’existence pour remonter dans un soleil intérieur pour que progressivement se dessine un arc-en-ciel sonnant le réveil des richesses insoupçonnées qui sommeillent en vous et chez les autres. Voyager avec Olivier Weber c’est regarder le monde en fermant les yeux et s’accrocher à ses cimes de beauté que Gaïa voudrait conserver à jamais dans ses bras.

Yackement vôtre,

« Le soir, dans le minuscule jardin de l’auberge, le plus grand calme régna après le gong du monastère voisin, signalant l’heure du coucher pour les moines et une courte nuit avant les prières de l’aurore. Le silence… Nous avons oublié de nous taire dans nos sociétés bavardes, poutres maîtresses d’une civilisation de l’hyper-rapidité où le trop-plein de mots a tué le mot, où le superficiel le dispute à l’éphémère, où le temps ne compte plus, où l’heure s’est arrêtée au cadran des cerveaux agités ».

« Aujourd’hui les nouveaux conquérants que nous sommes effacent sur les cartes les confins gênants pour les remplacer par le désir mondialisé. Enlève ta culture pour que je puisse pousser mes pions ».

« Cette envie d’aller caresser la roche plus loin, sous les monstres de granit, sous les sommets des dieux, protégés par le dièdre magique du Dhaulagiti qui sortait la tête de temps à autre des nuages, cette haleine des dieux, et qui inventait  des soleils ».

« Les déclinologues et nihilistes de salon, qui ne sortent pas souvent de leurs beaux quartiers pourvus d’eau chaude, devraient séjourner sur ces hauteurs. Ils deviendraient moins anxiogènes, moins donneurs de leçons, davantage portés sur l’empathie. Ils pourraient ainsi se rendre utiles et contribuer à sauver la beauté du monde ou ce qu’il en reste ».

« Le rire, cette délicate manière de cacher toutes les mélancolies ».

« La lueur a ses raisons que le cœur seul peut percer ».

« Sortir de nos grottes pour renouer avec la lumière ».

« Le narcissisme est une valorisation de soi pour mieux se détruire et les autres aussi ».

« Les sciuridés disposaient d’une organisation sociale complexe et leur habitat ne l’était pas moins, avec entrées principales et secondaires en cas de grabuge, un dortoir-nurserie et des latrines pour le long hiver ».

« Le cri du petit mammifère était un chant en soi, une longue complainte joyeuse qui aimait se jouer des pics et aiguilles. Ce n’était pas la montagne qui accouchait d’une souris mais les marmottes qui enfantaient les sommets ».

« La montagne est une société clandestine qui ne livre jamais tous ses secrets ».

« La fumée des obus épargne parfois la chair mais jamais l’esprit. Les guerres sont d’immenses machines à fabriquer des âmes errantes ».

« L’être humain continuait de fanfaronner et de plaider en faveur de la grande consommation. Près de 8 milliards d’habitants suffoquaient mais en demandaient encore davantage à leur maison, Mère Nature, qui n’en pouvait plus et voyait ses murs se fissurer, tandis que le plastique bouchait ses conduits et s’infiltrait sous ses fenêtres. La Terre était gouvernée par des dirigeants qui ne l’aimaient pas. Au-dessus d’elle, on se massacrait de temps à autre pour vendre quelques armes et relancer la consommation. Les cimetières se remplissaient mais la date de péremption de l’habitant reculait. Les humains perdaient leur humanisme et la raison. La Terre n’avait pourtant pas demandé le droit à l’oubli ».

« Il est doux de contempler les traits d’un homme ou d’une femme, d’accepter son regard, de voir ce qu’il y a de plus beau en lui, de lire parfois son histoire, ses doléances et ses angoisses ».

Au royaume de la lumière, un voyage en Himalaya – Olivier Weber – Préface de Philippe Charlier – Editions Plon/Collection Terre Humaine – Mai 2021

 

dimanche 25 juillet 2021

 

Une noisette, un livre
 
Les douces
Judith da Costa Rosa
 

Elles sont trois. Trois filles inséparables, Dolorès, Zineb, Bianca, dans l’exubérance et les contradictions de la jeunesse, avec leurs passions, leurs désirs, l’éveil des corps. Elles se ressemblent autant qu’elles s’opposent mais un lien les unit, il se nomme Hannibal et on pourrait le qualifier d’éphèbe. Généreux, ne sachant ce que faire mal veut dire, il protège ses trois amies et partage leurs secrets les plus intimes. Jusqu’au jour où il disparait sans laisser aucune trace.

Au fil des années sans Hannibal à leurs côtés, elles se sont séparées, elles ont quitté leur village des Pyrénées orientales pour aller vivre leur vie, aimer des hommes, faire des études ou devenir influenceuse sur Instagram. Mais soudain, au bout de huit ans, le corps d’Hannibal est retrouvé enterré dans le jardin d’un célèbre sculpteur, Auguste Meyer, décédé quelques mois auparavant et qui autrefois donnait des cours aux jeunes enfants… S’ajoutent de curieux mails signés Hannibal.

Une enquête pour homicide est ouverte et les trois jeunes femmes vont revenir sur les lieux avec un trop plein de souvenirs qu’elles vont tour à tour raconter. Que reste-t-il de leurs 16 ans ? Et quel terrible mystère se cache derrière l’assassinat d’Hannibal ?

Un sujet qui mêle intrigue policière et radioscopie d’adolescence avec une écriture agissant comme des rayons X pour décrypter tous les enchevêtrements qui se passent dans la tête et dans le corps de jeunes êtres en proie au monde des adultes et dans l’attente d’un avenir plus ou moins rêvé, un mélange d’ombres et de lumières au sein de familles recomposées où il est  impossible de tout exprimer, où les sentiments jonglent sur les cimes de la confusion.

Si le fond de l’histoire est intrigant et force l’intérêt, la forme reste un peu trop confuse avec des errances qui finissent par envoyer le lecteur dans un dédale de détails et de flashbacks sans aucun secours d’une déviation vers une porte de sortie. S’ajoutent quelques tournures désordonnées – « il s’habilla puis fit rapidement sa toilette » peut-être en souvenir d’un célèbre film où cary Grant se savonnait en costume sous la douche – et des longueurs qui n’ont rien d’une ascension livresque. Néanmoins « Les douces » reste un premier roman prometteur avec cette faculté à rendre des personnages attachants comme pour Hannibal ou l’officier de police Carez et de flatter la curiosité du lecteur.

Les douces – Judith da Costa Rosa – Editions Grasset – Mai 2021

Roman lu pour le Prix littéraire de la Vocation

mardi 20 juillet 2021

 

Une noisette, un livre
 
La loi des hommes
Wendall Utroi

 


A la fin du XIXI° siècle, le pays de sa très Gracieuse Majesté est sous la menace d’un scandale pouvant ébranler la couronne britannique : le duc de Clarence, fils ainé du prince de Galles et possible héritier du trône est suspecté d’entretenir des relations particulières dans un lupanar londonien aux côtés de Lord Arthur Sommerset. A l’époque, ce n’est point l’exploitation des hommes prostitués qui fait scandale mais le fait que l’homosexualité soit une pratique illégale… Wendall Utroi a converti cette affaire en un roman noir aussi captivant que terrifiant, décrivant les conditions du plus vieux métier du monde dans la misère londonienne et le sort des enfants – filles ou garçons – devenus des esclaves du sexe, de très jeunes vierges monnayées pour le plaisir de la haute bourgeoisie s’encanaillant le temps de quelques saillies dans les tréfonds de l’immondice humain.

Jacques est fossoyeur à Houtkerque, petite commune rurale dans les environs de Dunkerque. Suite à un arrêté municipal il doit faire un peu de place parmi les trop anciennes concessions. En dégageant l’une d’elles il trouve près du squelette un coffret. Tellement étonné et curieux d’en savoir plus, il le ramène chez lui – le coffret pas le squelette – pour l’ouvrir et découvrir un carnet intact qui semble être le journal de bord d’un inspecteur de Scotland Yard sous le règne de la reine Victoria : J. Wallace Hardwell. Seul bémol, le texte est en anglais. Discrètement – car sa femme est révoltée par le vol commis par son époux – il va demander à sa fille de lui traduire. Débute alors la terrible histoire du très empathique policier et de sa confrontation avec des âmes parfois bien noires…

Un seul regret en refermant ce livre : ne pas l’avoir lu plus tôt tant ce thriller est terriblement attachant par l’image de cet inspecteur terriblement humain face à l’horreur qu’il découvre lors de son enquête. A l’instar de Jacques, le lecteur va se plonger dans ce récit, ne souhaitant que prolonger les découvertes avec au final la tristesse de devoir quitter une si noble personne. Ecrit comme on aimerait que les romans policiers le soient tous, c’est un mélange subtil des époques et de métaphores pour relater la cruauté de l’exploitation sexuelle sous toutes ses formes, la manipulation des êtres sans défense, l’hypocrisie de la bien-pensance à géométrie variable, la perversion de l’argent, l’immunité des puissants et l’ingratitude des hommes et des femmes envers ceux qui ne veulent qu’alléger le poids des afflictions et de l’injustice.

« J’évoluais dans un monde où la justice ne se montrait sévère qu’envers les pauvres, les misérables, les petits. Son glaive se soulevait, s’abattait telle la foudre quand l’indigent avait volé, mais il tremblait lorsque l’aristocrate avait violé, abusé, exploité. Et quand cette épée ne vacillait pas, une main habile détournait sa course, ou écartait le coupable du tranchant de sa lame ».

La loi des hommes – Wendall Utroi – Editions Slatkine & Cie – Octobre 2020

jeudi 15 juillet 2021

 

Une noisette, un livre
 
Le procès de Spinoza
Jacques Schecroun

 


Baruch Spinoza est né au début du XVII° siècle dans une famille juive marrane-séfarade qui a dû prendre la route de l’exil vers les Provinces Unies réputées tolérantes pour fuir la terrible inquisition sévissant dans la Péninsule ibérique.

A 23 ans, Bento (son prénom en portugais) est sous la menace d’un herem, c’est-à-dire un bannissement pour cause d’hérésie. Fait exceptionnel, il le sera à vie. C’est ce processus du rejet de sa communauté que narre Jacques Schecroun d’une façon romancée mais sans négliger nullement les faits authentiques.

Comment des personnes ayant été elles-mêmes victimes de l’intolérance s’engagent dans un procès réduisant la liberté de penser en une voie unique ? Au fil des pages, le mécanisme est décortiqué avec, forcément, une part d’imaginaire mais en incluant des propos véridiques du philosophe, chantre de la bienveillance et de l’esprit d’ouverture envers les autres. Des débats précurseurs au siècle des Lumières.

Tout va crescendo dans une écriture passionnante qui fait que l’on se retrouve complètement en immersion dans cette communauté hispano-portugaise avec les rites, l’enseignement divin de la Torah, l’histoire de la religion juive avec le Talmud et cette complexité entre croyants, sur la place de Dieu et sa relation avec les hommes.

Ce roman permet de se remémorer la jeunesse de Spinoza avant qu’il ne parte pour La Haye et de retrouver une étrange modernité avec notre époque où les esprits s’échauffent pour un rien, où les tribunaux s’inventent sur les réseaux sociaux, où la religion est encore le fruit de ségrégation voire de condamnation à mort. Tellement percutant et incisif qu’une réflexion sur notre époque est automatique et bien au-delà du phénomène religieux. Historiquement moderne.

« La compétition Le procès de Spinoza aboutit à l’exclusion de l’autre, à son élimination, voire à son extermination, alors que la collaboration et la coopération, tout en permettant de coexister les uns avec les autres, enrichit les sciences, les arts et les métiers ».

« Je ne comprends pas ce qui pousse l’être humain à se créer plus d’interdits qu’il n’en faut pour vivre les uns avec les autres dans une société raisonnablement policée ».

« Hélas, il suffit que deux ou trois excités lancent une croisade et tout le monde suit le mouvement. Car ceux qui se taisent ne sont d’aucun poids par rapport à ceux qui braillent haut et fort ».

Le procès de Spinoza – Jacques Schecroun – Editions Albin Michel – Avril 2021

 

 

lundi 12 juillet 2021

 

Une noisette, un livre
 
Un si beau siècle, la poésie contre les écrans
Olivier Frébourg

 


Et si Olivier Frébourg était un nouveau Don Quichotte ? Intrépide et ne cédant en rien au politiquement correct face à une invasion d’armes de destruction massive, celles-ci soi-disant conventionnelles sans que cela fasse réagir quelconque organisation non gouvernementale : les écrans. Même si la ligne rouge risque d’être franchie, l’écrivain éditeur propose un remède, lui aussi universel avec une efficacité restée et approuvée : la poésie avec un ingrédient majeur, la beauté. Un antidote testé depuis l’antiquité : « Les Grecs nous ont appris la magnificence de l’instant pur, de la jouissance du présent. Les Romains les ont suivis sur cette voie. « Laetus in praesens animus » (Horace). Et cette beauté de l’instant ne doit pas nous être ravie ».

Un ouvrage précieux qui se lit avec lenteur pour savourer les envolées scripturales, les nombreuses citations et découvrir que l’on peut transformer l’encre en velours même lorsque d’aucuns s’attachent à inscrire sur papier leur esprit d’acier. Néanmoins, votre serviteur est loin d’être aussi révoltée contre les ordinateurs et autres smartphones, ces appareils ayant un côté salutaire pour qui les utilise avec sagesse et bienveillance. Ironie du sort, ma chronique se sera visible que sur écran et peut-être n’aurais-je jamais eu ce livre entre les mains – pardon les pattes – sans les réseaux sociaux. 

Véritable plaidoyer pour un retour aux relations humaines, au goût du contact, à l’authenticité, Olivier Frébourg navigue sur les vers poétiques, Baudelaire, Apollinaire, La Fontaine, Villon, Becker, Rimbaud – coucou Sylvain Tesson – Pessoa…, tout en dressant un tableau des maux de notre siècle qui s’éloigne des mots. Le tout en rendant hommage aux livres, aux bibliothèques, à la littérature en particulier et à l’art en général. Un appel pour retrouver la beauté du monde, pour renouer chaque destin à ce qui fait la vraie vie, à rejeter cette laideur du voyeurisme sociétal. Avec une bonne claque à cette horrible expression et directive de l’ « obsolescence programmée.

Cet ouvrage est aussi un voyage. Une excursion en dehors des chemins que l’on veut tracer à notre place, une balade sur des sentiers bordés des petites choses de la vie et qui méritent bien plus notre regard, une navigation pour s’éloigner des carcans imposés, une escalade vers la beauté en s’agrippant à ce qui reste le plus solide de tout : notre capacité à ne pas effriter les précieuses roches de l’onirisme. Même si les outils numériques restent un élément incontournable, ne pas céder à l’enfermement et s’évader vers des ondes enivrantes, celles de la liberté.

« C’est un corps chaud qui palpite, une bibliothèque, pas une rangée d’astres morts (…) Les bibliothèques composent une mémoire vivante, un éveil des sens. Elles permettent de voyager d’un pays à l’autre (…) Les livres gardent entre leurs pages la douceur du temps suspendu ».

« Quand le livre s’efface, une part de la civilisation recule (…) Quand le livre s’efface, l’esprit de résistance s’effondre ».

« Sans imaginaire, nous sommes des papillons épinglés, dépourvus de passion ou de rêve ».

« A l’époque des écrans et du virus, le pistage et le dépistage furent les deux sillages de ces jours de défaite. Les écrans produisent l’anomie. La distanciation sociale a commencé à partir de l’invasion des écrans dans les foyers. La télévision, bien sûr, puis les ordinateurs et smartphones qui nous ont tous mis à l’isolement comme dans les anciens quartiers de sécurité des prisons ».

« La poésie est le ressac de l’océan »

« En une génération, le monde financier a pompé notre énergie vitale ».

« Les écrans de télévision, les chaînes mondialisées par satellite ne mettent jamais en avant le beau. Le mal fait vendre et exploser les audiences ».

« Les poèmes comme les fados sont des pavillons de toutes les couleurs contre la noire barbarie ».

« La poésie est une convocation au banquet de la vie ».

Un si beau siècle, la poésie contre les écrans – Olivier Frébourg – Editions des Equateurs – Juin 2021

vendredi 9 juillet 2021

 

Une noisette, un livre
 
Nourrir la bête
Al Alvarez

 

Crédit photo © John Cleare

« Nourrir la bête", c’était l’expression de Mo Anthoine pour expliquer ce qui le poussait à dépasser ses limites, à toujours forcer la machine pour grimper : « J’aime nourrir la bête. C’est une sorte de bilan annuel sur moi-même. La bête, c’est toi en réalité. C’est l’autre toi, et elle est nourrie par le toi que tu crois être. Et ce sont souvent des gens très différents. Mais quand ils se rapprochent l’un de l’autre, c’est génial. Là, la bête a bien mangé et tu sors de là avec la forme de ta vie ».

Mo Anthoine, de son nom véritable Julian Vincent Anthoine, n’est pas le grimpeur le plus connu de l’alpinisme britannique. Pourtant, la plupart du commun des mortels l’a vu à l’écran : il a été la doublure de Sylvester Stallone dans Rambo III et de Jeremy Irons dans Mission. Mais la gloire ne l’intéressait pas. Il escaladait pour son plaisir et pour se retrouver avec ses copains sur les parois de l’amitié. Grande différence avec Doug Scott et Chris Bonington qui pourtant échappèrent à une mort certaine lors de l’ascension – et surtout de la descente – de l’Ogre grâce à au courage et à la vaillance de Mo Anthoine.

Le grimpeur était né en 1939 à Kidderminster et son enfance passé auprès d’une marâtre – il n’avait que 4 ans lorsque sa mère a quitté ce monde – a certainement forcé son désir de s’émanciper au plus vite, de s’évader car ne se sentant bien qu’en dehors de chez lui. Il découvre l’escalade à 19 ans et sera toujours emporté par cette envie de prendre de la hauteur. L’Europe, l’Afrique, l’Asie, peu de massifs, de falaises n’auront pas eu la joie de sentir les doigts de Mo dans leurs entrailles.

Avec son ami et collègue Joe Brown ils développèrent l’esprit d’alpinisme, « un bon grimpeur et un grimpeur vivant » et créèrent ensemble à Llanberis, au Pays de Galles, l’entreprise Snowdon Mouldings pour produire du matériel d’escalade à commencer par les casques de sécurité qui ont fait date. Escalader les parois est toujours resté un plaisir et jamais une compétition, d’ailleurs pour Anthoine l’intérêt était dans le parcours et non d’arriver au sommet, avec inlassablement une cordée de l’amitié, aussi bien dans les moments de liesse que dans les sauvetages.

Un récit narré avec brio et dynamisme par celui qui fut souvent son compagnon des montagnes et qui rend parfaitement hommage à non seulement le sportif et l’homme,  mais aussi à l’amitié, à l’intégrité et à cette valeur inestimable, celle du refus de la gloire. Nourrir la bête est un ensemble de pitons accrochés pour chaque lecteur, sportif ou simplement fasciné par cette vaillance de la conquête des cimes, et, qui permet de mettre en lumière ces héros qui refusent de l’être.

« Si l’expédition est médiatisée, il est possible que les grimpeurs en quête d’attention marchent sur les pieds des autres, et tout est sacrifié pour le sommet. Moi, je ne trouve pas qu’arriver au sommet soit si important. Tu peux toujours avoir une deuxième chance. Ce dont tu te souviens après une expédition, ce n’est pas le moment où tu es debout au sommet, mais ce que tu as traversé pour y parvenir. Le sentiment le plus agréable est de savoir que tu comptes sur quelqu’un d’autre et qu’il compte entièrement sur toi ».

Nourrir la bête, portrait d’un grimpeur – Al Alvarez – Traduction : Anatole Pons-Reumaux – Editions Métaillié – Juin 2021

mercredi 7 juillet 2021

 

Une noisette, un prix littéraire
 
Prix de la Vocation 2021

 


En automne la danse des feuilles fait aussi tourner les pages… et les prix littéraires. Pour votre serviteur au pelage roux cuivré, c’est le quatrième chapitre d’une danse des noisettes commencée en 2018 pour le jury du prix littéraire de la Vocation avec une nouvelle sélection qui promet quelques galopades livresques.

Pour rappel, ce prix a été créé en 1976 par Marcel Bleustein-Blanchet et a pour objectif d’offrir une chance aux futures plumes en récompensant un auteur de moins de 30 ans. Depuis 45 ans, les couronnes fleurissent sur les écrivains qui ont reçu cette reconnaissance, de Jean-Marc Lovay à Salomé Berlemont-Gilles en passant par Alain Blottière, Jean-Marie Laclavetine, Didier van Cauwelaert, Amélie Nothomb, Salim Bachi, Christophe Ono-Dit-Biot, Kaouther Adimi, François-Henri Désérable, Boris Bergmann…

 Cette année, au programme des papilles des vocables :

📖Les confluents d’Anne-Lise Avril chez Julliard

📖Les Douces de Judith da Costa Rosa chez Grasset

📖Toni tout court de Shane Haddad chez P.O.L.

📖La riposte de Jean-François Hardy chez Plon

📖La Belle est la Bête de Floriane Joseph chez Frison-Roche Belles Lettres

📖Mon mari de Maud Ventura chez l’Iconoclaste

📖Mise à feu de Clara Ysé chez Grasset

7 ouvrages, chiffre de la sagesse mais comme chacun aime la folie un petit dernier peut venir se glisser malicieusement avant la délibération mi-septembre pour la proclamation du prix – en général sans tambour ni trompette mais avec panache –  le 29.

Pour information le jury est représenté par : Kaouther Adimi, Jean-Luc Barré, Anne de la Baume, Alain Germain, Christophe Ono-Dit-Biot, Erik Orsenna, Philippe Taquet, Emilie de Turckheim (nouvelle cette année pour remplacer la regrettée Marie-Françoise Leclère) avec un quatuor de blogueuses : Sylvie Ferrando (La cause littéraire , Nicole Grundlinger (Mots pour mots )  Dominique Sudre (Domi C Lire et une écureuil.

Vous pouvez retrouver toutes les informations sur le site de la Fondation

lundi 5 juillet 2021

 

Une noisette, un livre
 
Un instant dans la vie de Léonard de Vinci et autres histoires
Marianne Jaeglé

 


Marianne Jaeglé a convoqué quelques figures du monde de l’art, de Homère à Harper Lee s’il vous plait, pour faire revivre un court instant de leur vie. Court mais immortel. Un peu comme si elle avait repris un carnet de bal et aurait souhaité refaire quelques pas auprès de ces très riches heures de l’humanité…

L’autrice a voulu rendre hommage à ces artistes qui l’accompagnent au fil des jours en recréant ce qu’ils ont vécu à un moment de leur vie, un fait parfois connu, parfois méconnu, parfois oublié. Avec une délicatesse exquise telle cette note en fin d’ouvrage où elle clame si véridiquement que « les œuvres que nous aimons nous aident à vivre ».

Selon son propre carnet de rencontres artistiques à travers la littérature, la peinture, la sculpture, la photographie, le cinéma, des nouvelles vont davantage charmer, donner l’envie de relire un roman, revoir une photo. Et même de relire quelques passages du présent ouvrage pour saluer la grandeur du passé avec l’élégance d’une plume scripturale d’aujourd’hui.

Mais quels sont ces personnages qui continuent de vivre au-delà de leur tombe ? Théophile Gautier, Felix Mendelssohn, Charlie Chaplin, Curzio Malaparte, Colette, Fiodor Dostoïveski, Homère, Romain Gary, Lee Miller, Harper Lee, Pablo Picasso… pour ne citer que quelques noms de cette vaste galerie qui se termine en apothéose avec le maître de Florence et d’Amboise.

Un écrivain amoureux d’une danseuse, une sœur vivant dans l’ombre de son frère compositeur, un concours de Charlot, l’atrocité d’une guerre, des écrits retrouvés qui donneront naissance aux belles lettres féminines, une peine de mort qui ne sera pas capitale, un aède à peut-être la cécité métaphorique, des photos compromettantes, la baignoire d’Hitler, la ségrégation aux Etats-Unis, un peintre répondant à une question d’un dignitaire nazi… des rushes portés avec une virtuosité confondante comme si les mots étaient à la fois une caméra, un pinceau, une partition pour se fondre ensemble dans un immense tableau dans cette pinacothèque de l’humanité artistique.

Un instant dans la vie de Léonard de Vinci et autres histoires – Marianne Jaeglé – Editions Gallimard/Collection L’Arpenteur – Mai 2021

samedi 3 juillet 2021

 

Une noisette, un livre
 
Les Amazones
Jim Fergus

 


Dernier opus de la trilogie imaginée et écrite par l’écrivain franco-américain Jim Fergus, « Les Amazones » terminent l’incroyable épopée des « Milles femmes blanches » et « La vengeance des mères ».

Pour rappel, en 1874, le chef indien Little Wolf demande au président américain de troquer mille femmes blanches contre des bisons et des chevaux pour permettre une meilleure intégration du peuple indien. La proposition est acceptée et des femmes venant d’asiles ou de prisons sont envoyées auprès des Indiens. Là, elles sont mariées et découvrent la vie des Cheyennes en proie à la violence à la fois entre tribus et face à l’envahisseur blanc. Parmi ces femmes : May Dodd qui relate dans un journal les différentes étapes de cette aventure où les massacres des peuples autochtones la pousse à engager une lutte avec les Indiens contre la machine des cow-boys avec d’autres de ses collègues, elles deviennent, avec les vraies Indiennes, des Amazones comme au temps des Grecs.

En 2018, débarque dans le bureau du journaliste Jon W. Dodd, une indienne du nom de Molly Standing Bear qui est l’arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-petite fille de Molly et de Hawk, pour donner en partie les journaux perdus de Molly McGill et de May Dood, écrits dans la deuxième partie du dix-neuvième siècle. Elles relatent tour à tour leurs parcours, leurs combats, leurs errances, leurs amours au sein de cette communauté sachant dompter les éléments et vivre en parfaite communion avec la nature. Mais c’est l’époque où les Indiens sont chassés de leur territoire, les bisons exterminés et le peuple autochtone survivant n’a droit qu’à de maigres réserves.

Si l’écriture et la forme n’ont rien d’extraordinaire, le fond est saisissant et Jim Fergus termine crinière au vent – utiliser le terme panache eût été trop facile – sa trilogie que l’on pourrait qualifier de western réaménagé dans la réalité des faits historiques, ceux d’un pur génocide. Tout est savamment décortiqué, analysé et romancé substanciellement, authentiquement. Malgré l’abondance des personnages, jamais on ne s’égare dans le récit, au contraire, on fidélise chaque nom pour encore mieux suivre cette chevauchée de l’impossible et du courage. Merveilleux portraits de femmes, de femmes qui tentent de s’émanciper malgré la violence surgissant de toute part et dont les capacités de défense sont infinies. Beaucoup de féminisme dans cette série, ce féminisme qui place haut la femme sans pour autant rejeter l’autre partie qui forme les humains. Sans aucun doute, si les Indiens avaient pu rester maîtres de leur terre, la face du monde eût été changée…

« Se souciaient-ils, se rendaient-ils seulement compte que cette terre, divisée par l’Etat en parcelles de soixante-cinq hectares afin de les distribuer à des fermiers comme eux, ou de la vendre au prix de gros à de riches exploitants, avait pendant mille ans été le pays de populations indigènes dont les derniers représentants étaient aujourd’hui pourchassés, massacrés ou assignés à résidence, afin que les colons puissent en profiter ? »

Les Amazones – Jim Fergus – Traduction : Jean-Luc Piningre – Editions Pocket – Août 2020

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