Une noisette, un
livre
Au royaume de la
lumière, un voyage en Himalaya
Olivier Weber
Mon
royaume pour un cheval ! Ou peut-être pour un livre, celui d’Olivier Weber
qui relate un beau voyage pour revenir plein d’usage et d’apaisement d’un
royaume qui n’existe plus sur la mappemonde mais toujours bien présent dans le
cœur de ses sujets : une enclave portant le nom d’un cheval sauvage :
le Mustang, territoire stratosphérique coincé entre le rebelle Tibet et l’ogre
de Chine, là où a coulé l’encre mais aussi malheureusement beaucoup de sang.
Jusqu’en
1992, ce « royaume interdit », pour reprendre le titre du livre de
Michel Peissel, a laissé porte close aux étrangers. Depuis, en échange d’une
autorisation payante, d’aucuns peuvent aller à la rencontre de ces montagnes
sauvages qui hébergent un peuple résistant à la vésanie technologique et des
ses affres ; reste à savoir pour combien de temps encore : 6000 âmes
contre 1 milliard de l’autre côté de la frontière.
Olivier
Weber est parti à la rencontre du peuple de Lo et de ces lieux de pierres, de
roches, de pics et de torrents pour reprendre de la hauteur et évacuer les incessants tourbillons du monde. Lui, le reporter de guerre qui
a couvert moult conflits en Asie, en Afrique, qui a failli recevoir des
centaines de coups létaux, qui a côtoyé le pandémonium sur terre, milité dans
l’humanitaire, avait besoin de ressouder son esprit par un bain de méditation
par delà les nuages.
« Au
royaume de la lumière », un titre pour éclairer chaque lecteur et rendre
hommage aux êtres qui tentent de rester humains dans ces précipices multipliés
par la course à la modernité, l’argent,
la vitesse et cette envie perpétuelle de vouloir dominer l’autre. Là, c’est un
envol vers la sagesse, la lenteur, la bienveillance, l’attention portée à ses
semblables en préconisant l’humilité salvatrice.
Le
journaliste écrivain est parti avec deux compagnons, Pierrot et Gérard, ce
dernier souffrant de cécité. Et pourtant, l’aveuglement est loin de lui, ses
dons pour voir le monde autrement sont uniques et sa sensibilité pour l’ouïe et
l’odorat fait qu’il sent, ressent ce que les autres ne voient et sait écouter
ce que les gens n’entendent plus. Une leçon de courage enveloppée dans
l’apprentissage constant de la vie. Ceux qui avaient vu le documentaire
réalisé par l’écrivain « Un œil sur le toit du monde » et diffusé sur
France5 il y a environ deux ans, auront pu constater toute la vaillance de cet
homme qui dans le noir transmet des forces d’énergie solaire.
Raconter
ce livre serait une ineptie et ma pauvre plume serait un bien trop pâle reflet
par rapport à toute la luminosité qui rayonne dans ce bréviaire convertit en un
« chant polyphonique de l’humanité, de l’animalité et de la
minéralité ». Sachez simplement qu’en tournant les pages, celui qui a vu
la géhenne se répandre sur la terre, qui a vécu les scènes de guerre dans
l’impitoyable barbarie humaine, partage ce grand air salvateur, relate le
véritable « vivre ensemble » - celui réellement pratiqué dans cette
solidarité des terres rudes – et porte un éclairage pour nettoyer nos neurones
des jets mercantiles incessants et autres filtres empoisonnés par la main d’un
diable aux multiples visages.
A
l’instar de la description poétique de la goutte d’eau tombant sur une roche, à
la lecture de ce livre chaque mot viendra se coller dans les entrailles de votre
corps, descendra dans les rides de l’existence pour remonter dans un soleil
intérieur pour que progressivement se dessine un arc-en-ciel sonnant le réveil
des richesses insoupçonnées qui sommeillent en vous et chez les autres. Voyager
avec Olivier Weber c’est regarder le monde en fermant les yeux et s’accrocher à
ses cimes de beauté que Gaïa voudrait conserver à jamais dans ses bras.
Yackement
vôtre,
« Le soir,
dans le minuscule jardin de l’auberge, le plus grand calme régna après le gong
du monastère voisin, signalant l’heure du coucher pour les moines et une courte
nuit avant les prières de l’aurore. Le silence… Nous avons oublié de nous taire
dans nos sociétés bavardes, poutres maîtresses d’une civilisation de
l’hyper-rapidité où le trop-plein de mots a tué le mot, où le superficiel le
dispute à l’éphémère, où le temps ne compte plus, où l’heure s’est arrêtée au
cadran des cerveaux agités ».
« Aujourd’hui
les nouveaux conquérants que nous sommes effacent sur les cartes les confins
gênants pour les remplacer par le désir mondialisé. Enlève ta culture pour que
je puisse pousser mes pions ».
« Cette
envie d’aller caresser la roche plus loin, sous les monstres de granit, sous
les sommets des dieux, protégés par le dièdre magique du Dhaulagiti qui sortait
la tête de temps à autre des nuages, cette haleine des dieux, et qui
inventait des soleils ».
« Les
déclinologues et nihilistes de salon, qui ne sortent pas souvent de leurs beaux
quartiers pourvus d’eau chaude, devraient séjourner sur ces hauteurs. Ils
deviendraient moins anxiogènes, moins donneurs de leçons, davantage portés sur
l’empathie. Ils pourraient ainsi se rendre utiles et contribuer à sauver la
beauté du monde ou ce qu’il en reste ».
« Le rire,
cette délicate manière de cacher toutes les mélancolies ».
« La lueur
a ses raisons que le cœur seul peut percer ».
« Sortir de
nos grottes pour renouer avec la lumière ».
« Le
narcissisme est une valorisation de soi pour mieux se détruire et les autres
aussi ».
« Les
sciuridés disposaient d’une organisation sociale complexe et leur habitat ne
l’était pas moins, avec entrées principales et secondaires en cas de grabuge,
un dortoir-nurserie et des latrines pour le long hiver ».
« Le cri du
petit mammifère était un chant en soi, une longue complainte joyeuse qui aimait
se jouer des pics et aiguilles. Ce n’était pas la montagne qui accouchait d’une
souris mais les marmottes qui enfantaient les sommets ».
« La
montagne est une société clandestine qui ne livre jamais tous ses
secrets ».
« La fumée
des obus épargne parfois la chair mais jamais l’esprit. Les guerres sont
d’immenses machines à fabriquer des âmes errantes ».
« L’être
humain continuait de fanfaronner et de plaider en faveur de la grande
consommation. Près de 8 milliards d’habitants suffoquaient mais en demandaient
encore davantage à leur maison, Mère Nature, qui n’en pouvait plus et voyait
ses murs se fissurer, tandis que le plastique bouchait ses conduits et s’infiltrait
sous ses fenêtres. La Terre était gouvernée par des dirigeants qui ne
l’aimaient pas. Au-dessus d’elle, on se massacrait de temps à autre pour vendre
quelques armes et relancer la consommation. Les cimetières se remplissaient
mais la date de péremption de l’habitant reculait. Les humains perdaient leur
humanisme et la raison. La Terre n’avait pourtant pas demandé le droit à
l’oubli ».
« Il est
doux de contempler les traits d’un homme ou d’une femme, d’accepter son regard,
de voir ce qu’il y a de plus beau en lui, de lire parfois son histoire, ses
doléances et ses angoisses ».
Au royaume de la
lumière, un voyage en Himalaya – Olivier Weber – Préface de Philippe Charlier –
Editions Plon/Collection Terre Humaine – Mai 2021