vendredi 24 janvier 2020


 
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Rencontres avec les survivants des camps de concentration

Par Sophie Nahum




Ils s’appellent Nicolas Roth, Ginette Kolinka, Henri Borlant, Yvette Levy, Shelomo Selinger, Elie Buzyn, Flora Eskenazi, Asia Turgel, Jacques Altmann, Suzanne Laugier, Arman Bulwa, Julia Wallach, Victor Pérahia… Ce sont des survivants, des êtres vivants que l’enfer n’a pu engloutir. Ils ont été chassés, humiliés, torturés pour une unique raison : ils étaient juifs ! Si ceux qui ont témoignés hier et qui témoignent encore aujourd’hui sont des survivants des camps de la mort, tous ont vu devant leurs yeux l’agonie de leurs proches, de leurs amis. Beaucoup sont revenus seuls, cabossés de partout, amaigris au-delà des os mais avec un cœur plus résistant que jamais.

Soixante quinze ans après la fin de la pire histoire européenne du XX° siècle, la Shoah, ils témoignent dans un livre ; des propos recueillis par la réalisatrice Sophie Nahum qui veut absolument que la parole de ces victimes de l’Homme soit entendue et connue pour que ce pandémonium ne se reproduise plus. Parce que le fil est fragile, il peut se casser, rien n’est jamais acquis pour toujours et une bataille n’est jamais gagnée complètement. A l’instar de la calomnie, la haine rampe sournoisement pour se répandre ensuite dans une étourdissante impunité. Avant d’arriver à ce stade ultime c’est à chacun de nous de rompre le silence pour rendre hommage aux victimes d’hier et éviter que d’autres le soient aujourd’hui ou demain.

A la lecture des témoignages, à la vue des photos et illustrations, personne ne peut imaginer la souffrance endurée par des millions de personnes, seuls ceux qui l’ont vécue peuvent réellement ressentir cette charge ineffaçable et inguérissable malgré ce courage pour s’accrocher à la vie.

Beaucoup plus qu’un devoir de mémoire ces témoignages sont indispensables pour qu’une mémoire se transmette et permette à l’inhumanité de retrouver l’humanité.

« Vers la fin de la guerre, on a considéré que j’étais mort et balancé « mon corps » sur un tas de cadavres. Quelques heures de plus et ça aurait été vraiment fini pour moi. Un médecin-officier russe qui passait par là a constaté que je n’étais pas tout à mort. Il m’a descendu, m’a fait hospitaliser dans un hôpital militaire où il m’a soigné et m’a rendu la vie ». Shelomo Selinger

« On ne peut pas tout raconter, il y a des choses tellement horribles que même maintenant, il m’est impossible d’en parler. Par exemple, les expériences de Mengele au bloc 10. J’en ai été témoin une seule fois. Il faisait beaucoup d’expériences sur les jumeaux ; quand les SS en voyaient, ils les lui mettaient de côté. Au camp des Tsiganes de Birkenau, il en a pris deux pour en faire des siamois. Les enfants hurlaient si fort qu’il les a balancés. Les parents les ont récupérés mais ils souffraient tellement qu’ils les ont étranglés ». Francine Christophe

« Aujourd’hui, je suis le dernier survivant de mon convoi, le convoi 73, dans lequel il y avait 878 hommes, dont seulement 22 sont revenus en 1945. Parfois, quand je me retrouve face à des descendants de mes frères de malheur, je ressens une sorte de culpabilité à être vivant ; je me demande pourquoi moi, j’ai survécu, et pas leur père ou leur grand-mère. C’est une charge morale très lourde. On porte une cicatrice qui a du mal à se refermer complètement, avec laquelle on vit en permanence ». Henri Zajdenwergier

« Je suis fatiguée tout le temps, je suis nerveuse, j’ai des douleurs dans l’âme. Toute ma vie, j’ai eu très peur de tout, tout le temps. Vous savez, quand pendant cinq ans, vous vous êtes demandé chaque jour si c’était le dernier, ça laisse des traces (…) j’ai besoin de parler ». Asia Turgel

« Vous savez, en tant qu’ancien déporté, ce qui m’importe, c’est que plus jamais personne n’ait à vivre ce qu’on a vécu, quel qu’il soit. Pour cela, il est nécessaire que l’homme d’aujourd’hui sache jusqu’où l’homme peut aller ». Nicolas Roth

« Dans certaines écoles, quand les élèves apprennent que le sujet du cours sera la Shoah, une partie d’entre eux refusent d’y assister et quittent la classe. Dans de nombreux établissements, on ne fait tout simplement pas venir de déportés pour éviter les histoires (…) On se dit que ça va revenir. Il n’y a pas de quoi être fier (…) Je suis inquiet, en vérité, je suis même très pessimiste ». Robert Wajcman


Les derniers – Sophie Nahum – Editions Alisio – Janvier 2020

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