Les derniers
Rencontres avec les
survivants des camps de concentration
Par Sophie Nahum
Ils
s’appellent Nicolas Roth, Ginette Kolinka, Henri Borlant, Yvette Levy, Shelomo
Selinger, Elie Buzyn, Flora Eskenazi, Asia Turgel, Jacques Altmann, Suzanne
Laugier, Arman Bulwa, Julia Wallach, Victor Pérahia… Ce sont des survivants,
des êtres vivants que l’enfer n’a pu engloutir. Ils ont été chassés, humiliés,
torturés pour une unique raison : ils étaient juifs ! Si ceux qui ont
témoignés hier et qui témoignent encore aujourd’hui sont des survivants des
camps de la mort, tous ont vu devant leurs yeux l’agonie de leurs proches, de
leurs amis. Beaucoup sont revenus seuls, cabossés de partout, amaigris au-delà
des os mais avec un cœur plus résistant que jamais.
Soixante
quinze ans après la fin de la pire histoire européenne du XX° siècle, la Shoah,
ils témoignent dans un livre ; des propos recueillis par la réalisatrice
Sophie Nahum qui veut absolument que la parole de ces victimes de l’Homme soit
entendue et connue pour que ce pandémonium ne se reproduise plus. Parce que le
fil est fragile, il peut se casser, rien n’est jamais acquis pour toujours et
une bataille n’est jamais gagnée complètement. A l’instar de la calomnie, la
haine rampe sournoisement pour se répandre ensuite dans une étourdissante impunité.
Avant d’arriver à ce stade ultime c’est à chacun de nous de rompre le silence
pour rendre hommage aux victimes d’hier et éviter que d’autres le soient
aujourd’hui ou demain.
A
la lecture des témoignages, à la vue des photos et illustrations, personne ne
peut imaginer la souffrance endurée par des millions de personnes, seuls ceux
qui l’ont vécue peuvent réellement ressentir cette charge ineffaçable et
inguérissable malgré ce courage pour s’accrocher à la vie.
Beaucoup
plus qu’un devoir de mémoire ces témoignages sont indispensables pour qu’une
mémoire se transmette et permette à l’inhumanité de retrouver l’humanité.
« Vers la fin de la
guerre, on a considéré que j’étais mort et balancé « mon corps » sur
un tas de cadavres. Quelques heures de plus et ça aurait été vraiment fini pour
moi. Un médecin-officier russe qui passait par là a constaté que je n’étais pas
tout à mort. Il m’a descendu, m’a fait hospitaliser dans un hôpital militaire
où il m’a soigné et m’a rendu la vie ». Shelomo Selinger
« On ne peut pas
tout raconter, il y a des choses tellement horribles que même maintenant, il
m’est impossible d’en parler. Par exemple, les expériences de Mengele au bloc
10. J’en ai été témoin une seule fois. Il faisait beaucoup d’expériences sur
les jumeaux ; quand les SS en voyaient, ils les lui mettaient de côté. Au
camp des Tsiganes de Birkenau, il en a pris deux pour en faire des siamois. Les
enfants hurlaient si fort qu’il les a balancés. Les parents les ont récupérés
mais ils souffraient tellement qu’ils les ont étranglés ». Francine
Christophe
« Aujourd’hui, je
suis le dernier survivant de mon convoi, le convoi 73, dans lequel il y avait
878 hommes, dont seulement 22 sont revenus en 1945. Parfois, quand je me retrouve
face à des descendants de mes frères de malheur, je ressens une sorte de
culpabilité à être vivant ; je me demande pourquoi moi, j’ai survécu, et
pas leur père ou leur grand-mère. C’est une charge morale très lourde. On porte
une cicatrice qui a du mal à se refermer complètement, avec laquelle on vit en
permanence ». Henri Zajdenwergier
« Je suis fatiguée
tout le temps, je suis nerveuse, j’ai des douleurs dans l’âme. Toute ma vie,
j’ai eu très peur de tout, tout le temps. Vous savez, quand pendant cinq ans,
vous vous êtes demandé chaque jour si c’était le dernier, ça laisse des traces
(…) j’ai besoin de parler ». Asia Turgel
« Vous savez, en
tant qu’ancien déporté, ce qui m’importe, c’est que plus jamais personne n’ait
à vivre ce qu’on a vécu, quel qu’il soit. Pour cela, il est nécessaire que
l’homme d’aujourd’hui sache jusqu’où l’homme peut aller ». Nicolas Roth
« Dans certaines
écoles, quand les élèves apprennent que le sujet du cours sera la Shoah, une
partie d’entre eux refusent d’y assister et quittent la classe. Dans de
nombreux établissements, on ne fait tout simplement pas venir de déportés pour
éviter les histoires (…) On se dit que ça va revenir. Il n’y a pas de quoi être
fier (…) Je suis inquiet, en vérité, je suis même très pessimiste ». Robert
Wajcman
Les derniers – Sophie
Nahum – Editions Alisio – Janvier 2020
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