Une noisette, un livre
Eden
Monica Sabolo
« Dans cet instant d’apesanteur, il se
mit à neiger des flocons phosphorescents. Tout autour de moi voletaient de
minuscules étoiles. Portées par le vent, elles dessinaient des courbes
gracieuses, mouchetant l’obscurité de particules d’or. Il me sembla que mon âme
s’était échappé de moi pour diffuse sa pâle lueur céleste ».
Cette phrase du dernier roman de Monica
Sabolo résume probablement tout l’art de l’écrivaine et sa capacité à observer
la nature pour ensuite la retranscrire en poésie mystérieuse. Car s’il fallait
définir la plume de l’auteure ce serait par les vocables
« cabalistique » et « obscure ».
Difficile de résumer en quelques lignes le
sujet d’Eden qui parfois prend le chemin de l’Enfer… Des adolescents, des
disparitions, mais nous sommes loin de Summer. Aux Etats-Unis, une communauté
indienne vit un peu en marge de la société, tout simplement parce qu’elle n’a
pas le choix, n’a jamais eu le choix. Des jeunes filles, des jeunes femmes
veulent que ça change mais face aux agressions qu’elles subissent, face à
l’inertie des autorités, elles vont décider d’agir elle-même. Et elles
deviennent solidaires lorsque qu’une jeune fille de la communauté blanche se
fait à son tour agresser sexuellement.
La narratrice est également une ado
« Cœur de glace » pour qui les relations sociales sont compliquées
mais elle s’attache à Lucy et voudrait elle aussi la sortir de cette torpeur
qui l’encercle après ce qui s’est passé dans la forêt. Sombre forêt qui fait
penser tout le long du livre aux vers de Guillaume Tell dans l’opéra de
Rossini : « Sombre forêt, désert triste et sauvage / Je vous préfère
aux splendeurs des palais / C’est sur les monts, au séjour de l’orage / Que mon
cœur peut renaître à la paix / Mais l’écho simplement apprendra mes secrets.
Ecriture lumineuse et envoûtante qui met le
lecteur un peu, justement, en apesanteur. Tout en délicatesse, Monica Sabolo
brosse à la fois le portrait d’une génération en proie à ses démons et d’une
société qui fait tout pour exciter les Méphisto en herbe. Cette société qui
masque aussi la réalité, comme par exemple les disparitions à peine relatées
dans la presse pour ne pas faire fuir les touristes. On pourrait reprocher à
l’écrivaine ce côté trop crépusculaire de ses romans avec l’espoir de lire à
l’avenir un peu plus de vibrations solaires, mais ses livres sont proches de
recueils poétiques et on oublie rapidement le côté presque ésotérique et
tourmenté du récit. Et puis, discrètement, on se dit que quoi qu’il arrive, la
loi du talion n’est jamais la solution…
« C’était
le genre de moment où l’on pouvait rêver à l’avenir, tout semblant ouvert. Une
grenouille se mettait à coasser, entraînant avec elle des dizaines de
congénères, et la nuit était constituée de ce chant ».
« Le
ciel ressemblait au fond d’un vase, dans lequel on aurait déversé de la
poussière d’or ».
Eden – Monica Sabolo – Editions Gallimard – Août 2019
Livre
lu dans le cadre de Masse Critique de Babelio
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