Une noisette, un livre
Les prisonniers de la
liberté
Luca di Fulvio
Un
roman qui a des couilles ! Au diable la noisette si l’écureuil choque mais
ce nouveau roman de l’écrivain italien Luca di Fulvio montre que les femmes
savent en avoir autant que les hommes !
Rosetta,
sicilienne, toujours traitée de sale « bottana » parce qu’elle refuse
de se soumettre aux hommes et de vendre ce qui lui appartient encore. Puis
Raechel, juive russe qui suivra de dangereux inconnus pour échapper aux
ténèbres de l’intolérance. Et enfin Rocco, sicilien également, mais qui ne veut
plus entendre parler de mafia. Chacun de son côté fuit cette Europe sans
pitié et prennent un cargo en direction de l’Amérique Latine espérant trouver une
vie plus supportable.
Trois
personnages, trois destins. Tout semble les séparer pour qu’ils ne se rencontrent
jamais et pourtant Buenos Aires va devenir pour eux trois la capitale de tous
les dangers, de toutes les violences, de toutes les souffrances dans une
inhumanité à faire frémir le plus rude des varans de Komodo !
Parce
que le paradis rêvé va se transformer en enfer dans un monde impitoyable, celui
de la mafia, encore et toujours, et celui de la prostitution où le corps des
femmes n’est qu’un objet corvéable à merci… et que l’on peut supprimer en toute
impunité. Seulement Rosetta n’a pas dit son dernier mot et la très jeune
Raechel/Raquel non plus. Elles vont, sans ce connaître, se battre dans tous les
sens du terme, pour échapper à la Grande Faucheuse, et dans cette violente randonnée
de tous les dangers, Rocco va les rencontrer et lutter avec elles. Dans
l’inhumanité des êtres, quelques belles âmes vont tout de même apporter un peu
de lumière à ce crépuscule des diables.
Une
large réflexion sur l’isolement social, en sachant qu’en plus l’action se
déroule au début du vingtième siècle et, surtout, sur la force incroyable des
femmes.
On
retrouve avec plaisir toute la fertilité livresque de Luca di Fulvio dans cette
saga aux personnages intrépides. La violence des mots se heurte à la bravoure
des protagonistes, le sordide nargue l’ivresse de vivre, l’amour fait plier la
haine, la noirceur des âmes rencontre le soleil des cœurs.
Il
y a des films qui se regardent comme un livre, les romans de Luca di Fulvio se lisent
comme un long-métrage, chaque paragraphe étant une scène. Judicieux est d’avoir
donné aux trois héros des prénoms commençant par la lettre R. R comme
Renaissance…
N’oublions
pas non plus quelques pincées d’humour, parfois bien cachées, comme, par exemple,
donner le non d’El Francés à un proxénète… l’écriture de toutes les audaces
pour ces amants de la liberté se retrouvant prisonniers des pourfendeurs des
destinées.
Si
l’histoire est fictive, elle s’appuis
hélas sur des faits réels. Et met sur papier toute la géhenne du plus vieux métier du monde, ces esclaves
du sexe considérées à peine comme une marchandise et encore de nos jours. Le
mot de la fin revient à l’écrivain lui-même car en mettant en association deux
femmes et un homme pour lutter contre ces trafics humains, puisse un espoir se
lever dans la réalité quand « d’une même voix, hommes et femmes dénoncent
ensemble l’injustice ».
« A présent qu’elle
n’avait plus une once d’espoir, maintenant qu’elle n’avait plus de futur, elle
pouvait accepter ce qu’autrement, elle n’aurait jamais accepté. Sans comprendre
pourquoi, no comment on en était arrivé là, ni à quoi cela pouvait rimer,
Rosetta savait désormais qu’elle appartenait à Rocco, et qu’elle lui avait
appartenu avant même de l’avoir rencontré. Peu importait que cela semble
absurde. Peu importait qu’ils se soient donné qu’un baiser, qu’ils n’aient
partagé qu’une part de gâteau et n’aient échangé que quelques mots. Leurs voix
s’étaient accordées et leurs lèvres reconnues, leurs yeux s’étaient rencontrés,
et ils avaient mêlé leurs doigts éperdus. Un instant, Rosetta fut saisie d’une
émotion pure et exaltante qui était peut-être le bonheur absolu. Puis l’effet
de la drogue disparut totalement. La souffrance devint insupportable et elle
poussa un cri ».
Les prisonniers de la
liberté – Luca di Fulvio – Traduction : Elsa Damien – Editions Slatkine
& Cie – Septembre 2019
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