Une noisette, un livre
Juliette de Saint-Tropez
Valentin Spitz
Femmes qui acceptaient, femmes qui ne
disaient non, femmes soumises, contraintes…femmes et éternelles mineures,
femmes devant cacher leur corps, leur féminité ; les premières ayant osé
dévoiler leurs chevilles étaient traitées de prostituées. Pourtant, elles
osaient et ont ouvert la voie pour que d’autres s’émancipent complètement, en
relevant la tête, en affirmant leur appartenance aux deux chromosomes
identiques et en actionnant la manette de la liberté. Juliette de Saint-Tropez
en fait partie et est un exemple.
Elle en a du panache Juliette, cette petite
fille qui va grandir en refusant progressivement que la femme soit considérée
comme la « côte » d’un homme… L’écrivain Valentin Spitz signe un
roman sous forme de saga familiale, saga centrée sur un personnage, quel
personnage celui de Nicole (qui deviendra Juliette), un hommage à sa propre
grand-mère qui a été l’une des colonnes de cette tribu essentiellement
féminine. Seuls Julien et Lucas (le petit-fils narrateur) apportent une note Y
dans ce récit qui n’a pourtant rien d’une histoire X.
Si le fond est une ode au féminisme, la
forme est un dédale de phrases, de paragraphes, de chapitres amenant le lecteur
de surprises en surprises et d’interrogations en interrogations. Où commence la
fiction ? Où s’arrête la
réalité ? Le mensonge est-il une forme de vérité ou toute vérité
finit-elle par se terminer inéluctablement en menterie ?
Juliette fait tourner les têtes mais la
sienne parfois est au bord du précipice, dès l’enfance avec la disparition
brutale de son papa adoré qu’elle essaiera d’entrevoir parfois comme s’il
existait encore. Sa mère absente, sa sœur inexistante, elle rencontrera des
hommes, aura confiance, puis, en découvrant leur face cachée, elle partira,
avec ses enfants. Fière d’être une femme, fière d’avoir pu gravir les échelons
de la société en piétinant les rumeurs du fameux « elle couche pour
arriver », fière d’assumer ses amants.
Elle a un peu de Brigitte Bardot cette Juliette :
un langage direct, amoureuse des animaux, divorcée plusieurs fois, assurant une sexualité décomplexée comme les
hommes le font depuis la nuit des temps. Quand Lucas décrit sa grand-mère
« Elle fait quelques pas dans la
rue ; minijupe en cuir, cuissardes noires, blondeur irradiante. Quelque
chose a changé, Nicole n’est plus une belle femme, elle est LA femme. Chacun de
ses pas est comme une poudre qui se diffuse (…) Nicole n’est plus, elle est Juliette désormais » les
images de BB défilent. Juliette créa la femme…
Un portrait de femme par le regard d’un
homme : c’est corrosif et voluptueux.
Engagé. On aurait presque quelque mansuétude pour ces hommes malgré leur
faiblesse, leurs secrets, leurs errances, leurs comportements machistes,
peut-être justement parce que le narrateur sait raconter sans condamner, juste
montrer la vaillance d’une femme pour écraser les sempiternels préjugés et
vivre sur les mêmes marches d’égalité. Egalité qui prend un terrible coup
d’épée à la fin du récit : « Elle
n’a plus envie. Il l’a tuée d’une phrase, une vérité implacable biologique
assénée par ce quadragénaire qu’elle aime à en crever ; une phrase
terrible, une ravageuse illustration de l’inégalité qui perdure entre les
hommes et les femmes, la seule peut-être dont Juliette ne viendra jamais à
bout : "Tu ne pourras jamais me donner d’autre enfant, à ton âge" ».
Juliette de Saint-Tropez, c’est un roman
masculin, féminin, du Godard scriptural qui ne sera
jamais à bout de souffle. Comme pour l'émancipation des femmes…
Juliette de Saint-Tropez – Valentin Spitz – Editions Stock – Mai
2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire