Souvenirs d'un médecin d'autrefois

dimanche 10 juin 2018


Une noisette, un livre

 

Juliette de Saint-Tropez

Valentin Spitz

 


Femmes qui acceptaient, femmes qui ne disaient non, femmes soumises, contraintes…femmes et éternelles mineures, femmes devant cacher leur corps, leur féminité ; les premières ayant osé dévoiler leurs chevilles étaient traitées de prostituées. Pourtant, elles osaient et ont ouvert la voie pour que d’autres s’émancipent complètement, en relevant la tête, en affirmant leur appartenance aux deux chromosomes identiques et en actionnant la manette de la liberté. Juliette de Saint-Tropez en fait partie et est un exemple.

Elle en a du panache Juliette, cette petite fille qui va grandir en refusant progressivement que la femme soit considérée comme la « côte » d’un homme… L’écrivain Valentin Spitz signe un roman sous forme de saga familiale, saga centrée sur un personnage, quel personnage celui de Nicole (qui deviendra Juliette), un hommage à sa propre grand-mère qui a été l’une des colonnes de cette tribu essentiellement féminine. Seuls Julien et Lucas (le petit-fils narrateur) apportent une note Y dans ce récit qui n’a pourtant rien d’une histoire X.

Si le fond est une ode au féminisme, la forme est un dédale de phrases, de paragraphes, de chapitres amenant le lecteur de surprises en surprises et d’interrogations en interrogations. Où commence la fiction ?  Où s’arrête la réalité ? Le mensonge est-il une forme de vérité ou toute vérité finit-elle par se terminer inéluctablement en menterie ?

Juliette fait tourner les têtes mais la sienne parfois est au bord du précipice, dès l’enfance avec la disparition brutale de son papa adoré qu’elle essaiera d’entrevoir parfois comme s’il existait encore. Sa mère absente, sa sœur inexistante, elle rencontrera des hommes, aura confiance, puis, en découvrant leur face cachée, elle partira, avec ses enfants. Fière d’être une femme, fière d’avoir pu gravir les échelons de la société en piétinant les rumeurs du fameux « elle couche pour arriver », fière d’assumer ses amants.

Elle a un peu de Brigitte Bardot cette Juliette : un langage direct, amoureuse des animaux, divorcée plusieurs fois,  assurant une sexualité décomplexée comme les hommes le font depuis la nuit des temps. Quand Lucas décrit sa grand-mère « Elle fait quelques pas dans la rue ; minijupe en cuir, cuissardes noires, blondeur irradiante. Quelque chose a changé, Nicole n’est plus une belle femme, elle est LA femme. Chacun de ses pas est comme une poudre qui se diffuse (…) Nicole n’est plus,  elle est Juliette désormais » les images de BB défilent. Juliette créa la femme…

Un portrait de femme par le regard d’un homme : c’est  corrosif et voluptueux. Engagé. On aurait presque quelque mansuétude pour ces hommes malgré leur faiblesse, leurs secrets, leurs errances, leurs comportements machistes, peut-être justement parce que le narrateur sait raconter sans condamner, juste montrer la vaillance d’une femme pour écraser les sempiternels préjugés et vivre sur les mêmes marches d’égalité. Egalité qui prend un terrible coup d’épée à la fin du récit : « Elle n’a plus envie. Il l’a tuée d’une phrase, une vérité implacable biologique assénée par ce quadragénaire qu’elle aime à en crever ; une phrase terrible, une ravageuse illustration de l’inégalité qui perdure entre les hommes et les femmes, la seule peut-être dont Juliette ne viendra jamais à bout : "Tu ne pourras jamais me donner d’autre enfant, à ton âge" ».

Juliette de Saint-Tropez, c’est un roman masculin, féminin, du Godard scriptural qui ne sera jamais à bout de souffle. Comme pour l'émancipation des femmes…

Juliette de Saint-Tropez – Valentin Spitz – Editions Stock – Mai 2018

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