Une noisette, un livre
Les Passeurs de livres de Daraya
Une bibliothèque secrète en
Syrie
Delphine Minoui
Damas, Alep, Homs, Raqqa, Palmyre… Des
villes avec des quartiers entiers transformés en morceaux squelettiques, des
champs de ruines à perte de vue, des immeubles fantômes et des milliers de vies
qui ont été anéanties par les bombardements, les attentats, la torture, la
famine…
Depuis des années, ce n’est plus une lutte pour vivre mais pour survivre. Et puis, il y a Daraya, ville des environs de Damas qui comptait plus de 75.000 habitants en 2007… Le 25 août 2012 a lieu un massacre de la part des forces gouvernementales, officiellement des représailles contre des terroristes. Pourtant les 1ères manifestations étaient pacifiques, des révolutionnaires offrant des fleurs aux soldats et réclamant seulement plus de démocratie, plus de liberté. Mais, le sort de milliers d’habitants fut plié, plus de 800 morts et un exode massif. Néanmoins, une poignée de vaillants combattants de la liberté est restée et, un jour, au milieu des décombres, ils dénichent une arme terrible, une arme capable de rassembler, une arme qui fait vivre, une arme qui suscite l’espoir, une arme sans bruit, sans odeur mais universelle, une arme qui fait battre les cœurs : un livre !
Grâce à Internet et à ses contacts, une
journaliste a eu vent de cette histoire incroyable. C’est Delphine Minoui,
auteure de plusieurs ouvrages dont « Je vous écris de Téhéran », qui
va se mettre en relation avec ces jeunes gens porteurs d’une énergie incroyable
et raconte dans « Les Passeurs de livres de Daraya » cette épopée
livresque au milieu des bombes. Un document absolument magnifique tant par sa
puissance narrative que par l’engagement bouleversant de ces jeunes syriens.
Ces jeunes gens, parfois blessés, parfois
revenus de prison, qui vont jour après jour récolter des livres, les
rassembler, les archiver, les ranger soigneusement dans un espace obscur, dans
les entrailles d’une ville décharnée. Ils vont prendre soin de noter le nom du
propriétaire sur chaque ouvrage, car pour eux, ils appartiennent à quelqu’un et
devront être restitués quand la guerre sera finie. L’un des miracles dans ce
pandémonium est que la plupart de ces
adultes n’étaient pas des lecteurs mais soudainement ils puisent une force, trouvent
une lumière en découvrant les récits d’Antoine de Saint-Exupéry avec son
« Petit prince » ou de Paulo Coelho et son « Alchimiste ».
Au fil des pages, on apprend que « la lecture est un refuge », qu’elle
« aide à penser positivement et
permet de chasser les idées négatives », que le livre est le meilleur
des outils pour « s’évader, pour se
retrouver, pour exister » et que lire est « un acte de transgression ».
Dans cet enfer où se côtoient les barils
d’explosifs, la prolifération de gaz toxiques, l’absurdité des convois
humanitaires, l’hypocrisie des instances occidentales, il y a des hommes et des
femmes qui trouvent le courage de créer une bibliothèque pour partager avec
d’autres cette « mélodie de
mots contre le diktat des bombes ».
Des histoires touchantes comme celle de cet
amour qui va naître via l’échange de livres et surtout l’empathie de l’auteure
envers ces messagers de tous les espoirs, font de ce livre une bible livresque,
une ode à la puissance de l’écriture, un arc-en-ciel de nuances d’espérance,
une référence journalistique et une leçon d’humilité.
Les livres comme arme d’instruction
massive, les livres comme chant de la liberté, cette liberté que Paul Eluard
voulait écrire partout, sur tous les murs. En refermant ce livre, j’ai aussi
envie de crier : Syrie, j’écris ton nom ; peuple syrien, j’écris ton
nom. En espérant que des mains se tendent vers les pages de la démocratie.
« Ecrire pour ne pas oublier. Pour ne pas LES
oublier. »
Les Passeurs de livres de Daraya – Une bibliothèque secrète en
Syrie – Delphine Minoui – Editions Seuil – Octobre 2017
Livre reçu dans le cadre du Grand Prix des
Lectrices Elle 2018
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