Souvenirs d'un médecin d'autrefois

lundi 1 janvier 2018


Une noisette, un livre

 

Les Passeurs de livres de Daraya 

Une bibliothèque secrète en Syrie

Delphine Minoui


 


Damas, Alep, Homs, Raqqa, Palmyre… Des villes avec des quartiers entiers transformés en morceaux squelettiques, des champs de ruines à perte de vue, des immeubles fantômes et des milliers de vies qui ont été anéanties par les bombardements, les attentats, la torture, la famine…

Depuis des années, ce n’est plus une lutte pour vivre mais pour survivre. Et puis, il y a Daraya, ville des environs de Damas qui comptait plus de 75.000 habitants en 2007… Le 25 août 2012 a lieu un massacre de la part des forces gouvernementales, officiellement des représailles contre des terroristes. Pourtant les 1ères manifestations étaient pacifiques, des révolutionnaires offrant des fleurs aux soldats et réclamant seulement plus de démocratie, plus de liberté. Mais, le sort de milliers d’habitants fut plié, plus de 800 morts et un exode massif. Néanmoins, une poignée de vaillants combattants de la liberté est restée et, un jour, au milieu des décombres, ils dénichent une arme terrible, une arme capable de rassembler, une arme qui fait vivre, une arme qui suscite l’espoir, une arme sans bruit, sans odeur mais universelle, une arme qui fait battre les cœurs : un livre !

Grâce à Internet et à ses contacts, une journaliste a eu vent de cette histoire incroyable. C’est Delphine Minoui, auteure de plusieurs ouvrages dont « Je vous écris de Téhéran », qui va se mettre en relation avec ces jeunes gens porteurs d’une énergie incroyable et raconte dans « Les Passeurs de livres de Daraya » cette épopée livresque au milieu des bombes. Un document absolument magnifique tant par sa puissance narrative que par l’engagement bouleversant de ces jeunes syriens.

Ces jeunes gens, parfois blessés, parfois revenus de prison, qui vont jour après jour récolter des livres, les rassembler, les archiver, les ranger soigneusement dans un espace obscur, dans les entrailles d’une ville décharnée. Ils vont prendre soin de noter le nom du propriétaire sur chaque ouvrage, car pour eux, ils appartiennent à quelqu’un et devront être restitués quand la guerre sera finie. L’un des miracles dans ce pandémonium  est que la plupart de ces adultes n’étaient pas des lecteurs mais soudainement ils puisent une force, trouvent une lumière en découvrant les récits d’Antoine de Saint-Exupéry avec son « Petit prince » ou de Paulo Coelho et son « Alchimiste ».

Au fil des pages, on apprend que « la lecture est un refuge », qu’elle « aide à penser positivement et permet de chasser les idées négatives », que le livre est le meilleur des outils pour « s’évader, pour se retrouver, pour exister » et que lire est « un acte de transgression ».

Dans cet enfer où se côtoient les barils d’explosifs, la prolifération de gaz toxiques, l’absurdité des convois humanitaires, l’hypocrisie des instances occidentales, il y a des hommes et des femmes qui trouvent le courage de créer une bibliothèque pour partager avec d’autres cette « mélodie de mots contre le diktat des bombes ».

Des histoires touchantes comme celle de cet amour qui va naître via l’échange de livres et surtout l’empathie de l’auteure envers ces messagers de tous les espoirs, font de ce livre une bible livresque, une ode à la puissance de l’écriture, un arc-en-ciel de nuances d’espérance, une référence journalistique et une leçon d’humilité.

Les livres comme arme d’instruction massive, les livres comme chant de la liberté, cette liberté que Paul Eluard voulait écrire partout, sur tous les murs. En refermant ce livre, j’ai aussi envie de crier : Syrie, j’écris ton nom ; peuple syrien, j’écris ton nom. En espérant que des mains se tendent vers les pages de la démocratie.  

 « Ecrire, c’est recoller des bouts de vérité pour faire entendre l’absurdité. »

 « La guerre est perverse, elle transforme les hommes, elle tue les émotions, les angoisses, les peurs. Quand on est en guerre, on voit le monde différemment. La lecture est divertissante, elle nous maintient envie. Si nous lisons, c’est avant tout pour rester humain. »

« Ecrire pour ne pas oublier. Pour ne pas LES oublier. »

Les Passeurs de livres de Daraya – Une bibliothèque secrète en Syrie – Delphine Minoui – Editions Seuil – Octobre 2017

Livre reçu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2018
 
 

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