Une noisette, un livre
La salle de bal
Anna Hope
Francis
Galton, Leonard Darwin, Ronald Fisher, Arthur Balfour, Winston Churchill…
médecins, scientifiques, politiques… ils font partie de l’Angleterre de la fin
du XIX° siècle et du début de XX°. Leur point commun : l’eugénisme, un
concept qui voulait améliorer l’espèce humaine, sélectionner les races
supérieures et éliminer tout ce qui pouvait empêcher le développement de l’Homo
Sapiens, c’est-à-dire, les aliénés, les indigents, les inférieurs… bref autant
de termes pour abaisser la condition humaine dans la plus humiliante des
classifications. Une thèse qui sera hélas récupérée quelques décennies
plus tard par le III° Reich…
C’est
dans cette ambiance sombre et maléfique que se situe le dernier roman d’Anna
Hope « La salle de bal », cette
anxiogène atmosphère de l’asile Sharston, en référence à celui de Menston, qui
a existé et où avait été interné l’arrière-arrière grand-père de l’écrivaine.
Ainsi « La salle de bal »
est non seulement un roman mais un émouvant récit en la mémoire de son aïeul.
Trois
personnages alternent la narration : Ella, John et Charles.
Ella
s’est échappée de la filature où elle travaillait et John devient patient dans cet hôpital psychiatrique après un drame
familial. Mais tous ces hommes et ces femmes se retrouvent souvent enfermés
sans vraiment savoir le comment du pourquoi, les accidents de vie faisant
arriver dans cet enclos des êtres sans lendemain… Et ils sont nombreux à errer
dans l’incertitude, le néant, à être considérés comme des animaux, voire pire…
Entre
le directeur et l’ensemble du personnel encadrant, il y a ce personnage de
médecin : Charles… le déroutant… Mais il est fascinant de perversité
scientifique. Médecin raté, musicien rêveur, peu considéré par ses géniteurs,
il est ambitieux, très ambitieux et n’espère qu’une chose : se faire
remarquer pour devenir quelqu’un, et ce, en essayant d’atteindre le Graal par
une rencontre avec Winston Churchill plutôt favorable aux thèses eugénistes. Il
va créer un orchestre amateur au sein de l’asile et ainsi, chaque vendredi,
lors d’un bal, les hommes et les femmes désignés pourront se côtoyer. Ce qui
semble être un geste de bonté, d’humanité de sa part va se révéler n’être
qu’une fourbe manipulation. C’est là que le roman trouve son rythme dans une
danse, non pas macabre, mais terriblement funeste. Pourtant l’amour entre Ella
et Charles rode, intensément…
Quel
parcours livresque poignant ! Comment rester insensible à la condition de
vie de ces personnages, fictifs, certes, mais en sachant que des centaines
d’êtres humains ont subi le même sort entre brimades, humiliations, châtiments,
sans aucune liberté et corvéable à merci. Même dans la mort, ils étaient
malmenés. Pourtant, on ne cessait de leur répéter que tout était fait pour leur
bien dans le meilleur des mondes… vaste hypocrisie.
L’écriture
d’Anna Hope est flamboyante, tant par la justesse du déroulement de l’action
que par la poésie qui apporte une lumière au fil des pages ténébreuses défilant
sous nos yeux. Le tout avec un leitmotiv qui ne peut que séduire le
lecteur : la présence de Dame Nature. La nature sous toutes ses formes,
sous toutes ses saisons, sous toutes ses déclinaisons. Et dans toute sa
générosité. Loin des âmes noires des
scientifiques qui voudraient tout régenter à leur façon et qui, parfois, sont
les seuls à perdre la raison…
Dans
ce tableau d’une noirceur déconcertante, les effluves bucoliques nous
entraînent vers un dénouement surprenant et surtout sublime. Sublime par sa
délicatesse, sublime par l’espoir qu’elle engendre. Mais après tout, l’auteur
se nomme « Hope ».
La salle de bal – Anna
Hope – Traduction Elodie Leplat – Editions Gallimard – Août 2017
Livre
reçu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle
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