Une noisette, un livre
L’express de Bénarès
Frédéric Vitoux
« L’Ecosse s’est
voilée de ses brumes classiques,
Nos plages et nos lacs
sont abandonnés ; Novembre, tribunal suprême des phtisiques,
M’exile sur les bords de la Méditerranée… »
Dans
cette « carte postale » de Nice, le poète Henry
Jean-Marie Levet exprime ses sentiments crépusculaires à l’aube de sa mort
prochaine, à l’âge absurde de 32 ans.
Mais
qui était donc Henri J.M. Levet ? Un idéaliste, un jeune homme sage comme
le souhaitait ses parents ou bien un être inclassable, anticonformiste, ivre
d’extravagance, de rêves, de fantasmes…
« Fantaisie
aux divins mensonges, tu reviens m’égarer encor,Va retourne aux pays des songes,
Ô Fantaisie, aux ailes d’or… »
… tel un Gérard pour Lakmé, histoire qui se déroule justement en Inde, Inde imaginée ou bien réellement vécue par Henry Levet.
Une
gageure pour l’académicien Frédéric Vitoux que de retracer le bref parcours de
vie d’un homme enfoui dans le cercle des poètes disparus, seuls quelques écrits
et témoignages subsistent grâce surtout à deux de ses amis de l’époque
Montmartre : Valery Larbaud et Léon-Paul Fargue ; ses parents ayant
détruit lettres et manuscrits.
C’est
donc un ectoplasme littéraire que l’auteur essaie de reconstituer, de donner
forme, de faire revivre, tel ‘l’Express de Bénarès », ébauche d’Henry
Levet perdue à jamais dans l’océan des oublis et les vagues de l’effacement.
Mais
au-delà de la qualité de la poésie de Levet, pourquoi s’intéresser à
décortiquer à la fois ce personnage et cette période de l’histoire ?
L’écrivain y répond et ô combien on souscrit à ses mots : « une envie
d’écrire des livres qu’en forme de longue et tranquille conversation. (…) Une
conversation pour parler d’autres choses que de ce qui assaille et martyrise
notre actualité ».
Et
ce monologue est brillant. Brillant parce qu’il est respectueux, on n’invente
pas, on suppute, on essaie de comprendre le pourquoi du comment ; brillant
parce que pas de cours magistral mais plutôt un badinage, parfois vraiment
taquin quand il s’agit de se pencher sur ces fameuses « têtes de
circonstances » lors de sépultures ; il est brillant parce que
délassant, telle cette visite particulière de Montbrison, beaucoup de nostalgie
sur ce « temps qui va où tout s’en va… » ; il est brillant parce
que tout simplement Henry Levet passe devant vos yeux : de l’opacité
totale tout s’éclaircit et hélas on s’aperçoit qu’au moment où le poète a
vraiment trouvé sa personnalité il ne lui reste que peu de temps à vivre… Belle
leçon d’humilité d’ailleurs, ne pas chercher à être quelqu’un mais être soi…
« Au moment où Henry Levet se croyait perdu
pour la poésie, il venait enfin de la trouver ».
L’Express de Bénarès –
Frédéric Vitoux – Editions Fayard – Janvier 2018
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