Une noisette, un livre
Le général de Gaulle et la Russie
Hélène Carrère d’Encausse
Qui n’a pas entendu ou lu cette
célébrissime phrase « L’Europe, de l’Atlantique à l’Oural » prononcée
par le général de Gaulle le 14 juin 1963 ? Ces mots prémonitoires nécessitaient
une explication et le diplomate Hervé Alphand avait obtenu des
précisions : « Pour que cette Europe soit possible, il faut de grands
changements. D’abord que l’Union Soviétique ne soit plus ce qu’elle est, mais
la Russie. Ensuite, que la Chine menace ses frontières orientales, donc la
Sibérie. Et que peut-il advenir dans un certain nombre d’années ? La
formule permet de montrer aux Russes que la création d’une union européenne
occidentale n’est pas dirigée contre eux, n’est pas un acte de guerre
froide ; elle entretient un certain espoir chez les Allemands de l’Est,
les Tchèques, les Polonais, les Hongrois. Elle ne constitue cependant qu’une
anticipation historique ».
Anticipation historique, on ne peut dire
mieux ! De Gaulle aura été l’un des bâtisseurs de la chute de l’empire
soviétique au début des années 90. Le fondateur de la V° république a vu le mur
de Berlin s’ériger en août 1961, l’un de ses successeurs, François Mitterrand,
le verra s’effondrer en novembre 1989 aux côtés de l’initiateur de la
perestroïka, Mikhaïl Gorbatchev. C’est « le triomphe de l’idée de De
Gaulle » comme le souligne si justement Hélène Carrère d’Encausse.
L’académicienne part sur le constat
historique des relations tumultueuses entre la France et la Russie, avec cette
mauvaise image de ce pays dans les yeux des Français, et ce, depuis le duc de
Sully ou, plus tard, d’Astolphe de Custine avec son ouvrage pamphlétaire sur
Nicolas Ier « La Russie en 1839 », pour revenir sur l’actualité qui
remet en avant la Russie dans le « nouveau désordre mondial », les
Etats-Unis n’étant plus le seul et unique pays à pouvoir prendre des décisions.
Ainsi, elle interpelle indirectement le président actuel, Emmanuel Macron, sur
la nécessité de renouer avec la politique de l’illustre général à l’heure où
résonnent quelques sons de guerre froide avec Vladimir Poutine.
Le document revient sur les heures intenses
des échanges et des points de vue de Charles de Gaulle avec ses homologues
soviétiques : Joseph Staline, Nikita Khrouchtchev et Léonid Brejnev. De refroidissements à l’entente parfois quasi
cordiale, de Gaulle n’a cessé de projeter l’avenir tout en garantissant la
France et ses alliés d’une paix à long terme. Ses difficultés à entretenir des
relations amicales avec l’Angleterre et les Etats-Unis ont sans aucun doute
privilégié une forme de relative confiance de la part des soviétiques. Malgré la visite
de Khrouchtchev en 1960 (l’auteure signale que la dernière d’un chef d’état
russe remontait en 1896 avec Nicolas II) il faudra attendre 1966, année
charnière avec le début de la transformation du paysage politique est/ouest,
l’un des évènements principaux étant notamment le retrait partiel de la France au
sein de l’Otan.
Hélène Carrère d’Encausse offre une
brillante leçon d’histoire pour la géopolitique d’aujourd’hui, avec un regard objectif sur de Gaulle :
autoritaire, visionnaire mais certainement pas naïf. En 1969, il quitta le
pouvoir avec amertume, avec des regrets mais la certitude qu’il avait vu juste
sur « la nécessité de briser le monde des idéologies ».
Reste maintenant à espérer que cesse un jour ce
tissage de la toile de Pénélope entre la France et la Russie…
Le général de Gaulle et la Russie – Hélène Carrère d’Encausse –
Editions Fayard – Novembre 2017
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