Souvenirs d'un médecin d'autrefois

dimanche 3 décembre 2017


Une noisette, un livre

 

Le général de Gaulle et la Russie

Hélène Carrère d’Encausse




Qui n’a pas entendu ou lu cette célébrissime phrase « L’Europe, de l’Atlantique à l’Oural » prononcée par le général de Gaulle le 14 juin 1963 ? Ces mots prémonitoires nécessitaient une explication et le diplomate Hervé Alphand avait obtenu des précisions : « Pour que cette Europe soit possible, il faut de grands changements. D’abord que l’Union Soviétique ne soit plus ce qu’elle est, mais la Russie. Ensuite, que la Chine menace ses frontières orientales, donc la Sibérie. Et que peut-il advenir dans un certain nombre d’années ? La formule permet de montrer aux Russes que la création d’une union européenne occidentale n’est pas dirigée contre eux, n’est pas un acte de guerre froide ; elle entretient un certain espoir chez les Allemands de l’Est, les Tchèques, les Polonais, les Hongrois. Elle ne constitue cependant qu’une anticipation historique ».

Anticipation historique, on ne peut dire mieux ! De Gaulle aura été l’un des bâtisseurs de la chute de l’empire soviétique au début des années 90. Le fondateur de la V° république a vu le mur de Berlin s’ériger en août 1961, l’un de ses successeurs, François Mitterrand, le verra s’effondrer en novembre 1989 aux côtés de l’initiateur de la perestroïka, Mikhaïl Gorbatchev. C’est « le triomphe de l’idée de De Gaulle » comme le souligne si justement Hélène Carrère d’Encausse.

L’académicienne part sur le constat historique des relations tumultueuses entre la France et la Russie, avec cette mauvaise image de ce pays dans les yeux des Français, et ce, depuis le duc de Sully ou, plus tard, d’Astolphe de Custine avec son ouvrage pamphlétaire sur Nicolas Ier « La Russie en 1839 », pour revenir sur l’actualité qui remet en avant la Russie dans le « nouveau désordre mondial », les Etats-Unis n’étant plus le seul et unique pays à pouvoir prendre des décisions. Ainsi, elle interpelle indirectement le président actuel, Emmanuel Macron, sur la nécessité de renouer avec la politique de l’illustre général à l’heure où résonnent quelques sons de guerre froide avec Vladimir Poutine.

Le document revient sur les heures intenses des échanges et des points de vue de Charles de Gaulle avec ses homologues soviétiques : Joseph Staline, Nikita Khrouchtchev et Léonid Brejnev. De refroidissements à l’entente parfois quasi cordiale, de Gaulle n’a cessé de projeter l’avenir tout en garantissant la France et ses alliés d’une paix à long terme. Ses difficultés à entretenir des relations amicales avec l’Angleterre et les Etats-Unis ont sans aucun doute privilégié une forme de relative confiance de la part des soviétiques. Malgré la visite de Khrouchtchev en 1960 (l’auteure signale que la dernière d’un chef d’état russe remontait en 1896 avec Nicolas II) il faudra attendre 1966, année charnière avec le début de la transformation du paysage politique est/ouest, l’un des évènements principaux étant notamment le retrait partiel de la France au sein de l’Otan.

Hélène Carrère d’Encausse offre une brillante leçon d’histoire pour la géopolitique d’aujourd’hui,  avec un regard objectif sur de Gaulle : autoritaire, visionnaire mais certainement pas naïf. En 1969, il quitta le pouvoir avec amertume, avec des regrets mais la certitude qu’il avait vu juste sur « la nécessité de briser le monde des idéologies ».

Reste maintenant à espérer que cesse un jour ce tissage de la toile de Pénélope entre la France et la Russie…

Le général de Gaulle et la Russie – Hélène Carrère d’Encausse – Editions Fayard – Novembre 2017

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