Une noisette, une
interview
Gaspard Gantzer
« J’ai appris qu’en politique rien ne se passe jamais comme prévu et le plus improbable finit toujours par arriver. »
Le
24 avril 2014 Gaspard Gantzer franchit les portes du Château, il vient d’être
nommé « chef du pôle communication à la Présidence de la
République », c'est-à-dire, conseiller en communication de François
Hollande. Il restera auprès de lui jusqu’à l’élection de son successeur et
aujourd’hui il nous livre, dans un document étonnant, sa feuille de route, tout
ce qui fait le roman de la politique, sport de combat, certes, mais aussi une
épreuve d’endurance, tant physiquement que psychiquement.
Le
récit du communiquant va au-delà de la simple narration politique, c’est à la
fois un témoignage sur une partie du quinquennat de François Hollande mais,
également, une fine analyse politique avec des demi-teintes subtiles que vous
savourez comme des noisettes fraîches, pigmentées d’humour et de quelques
détails jusque-là inconnus qui apportent la plus-value nécessaire à ce livre.
De
longs paragraphes sont consacrés au nouveau locataire de l’Elysée, Emmanuel
Macron, mais également à celui qui fut son rival durant plusieurs années,
Manuel Valls... Quand un homme de l’ombre met la lumière, c’est un bel éclairage
sur l’un des chapitres de la V° République ! Rencontre avec l’auteur…
Gaspard Gantzer, les
descriptions que vous apportez sont méthodiques, comme pour un journal de bord.
Pensiez-vous dès votre arrivée à l’Elysée (et pas seulement en vous rasant)
écrire un livre pour raconter le vécu de ces 3 années passées auprès de
François Hollande ?
Depuis que je travaille
avec des hommes politiques, j’ai pris l’habitude de prendre des notes. J’ai
noirci de nombreux carnets quand je travaillais pour Christophe Girard puis
Bertrand Delanoë à la Ville de Paris, puis auprès de Laurent Fabius au Quai d’Orsay.
Cela me permettait de me souvenir de ce que j’avais à faire au quotidien et de
garder une trace des moments vécus avec ces hommes politiques exceptionnels.
J’ai continué à le faire à l’Elysée, sans savoir ce que j’en ferai à l’issue du
quinquennat. Quand François Hollande a décidé de ne pas être candidat à sa
réélection, j’ai décidé d’en faire un livre, pour donner ma version de
l’histoire, fournir mon témoignage subjectif de l’incroyable histoire de ce
quinquennat.
Pendant longtemps
les hommes de l’ombre sont restés dans les souterrains de la sphère politique,
puis, peu à peu, sont allés vers l’éclairage médiatique. Vous-même, lors d’un
document diffusé sur France 3 (Un temps de président) apparaissez fréquemment,
d’ailleurs vous le soulignez dans votre livre sur vos « mémoires
élyséennes ». Le devoir de réserve, le grillon qui veut vivre caché, sont
désormais des lointains mirages ?
Je n’ai jamais cherché la
lumière. J’ai été le premier embarrassé d’apparaitre souvent dans le film
d’Yves Jeuland.
Je ne suis cependant pas
le premier conseiller d’un Président de la République à être un peu exposé. De
Jacques Attali à Henri Guaino, en passant par Hubert Védrine, Anne Lauvergeon
ou encore Dominique de Villepin, les exemples sont très nombreux sous la 5ème
République.
Vous relatez
l’opinion d’Emmanuel Macron sur la V° République par rapport à un entretien
qu’il avait donné en 2015 à la revue Le 1. Vous semblez émettre une réserve sur
l’intérêt des citoyens sur cette image de « président planqué sur son
Olympe ». Pourtant, les fastes et le protocole sont toujours d’inspiration
royale ? Ou est-ce l’un des paradoxes français ?
Les Français ont parfois des aspirations
contradictoires. Ils sont attachés à la figure présidentielle, régalienne et
verticale, d’inspiration gaullo-mitterrandienne, et, en même temps, ils veulent
plus de simplicité, de transparence et de proximité dans l’exercice du pouvoir
élyséen. Pour ma part, je pense que la démocratie française gagnerait à être
moins monarchique dans l’organisation du pouvoir et à aller vers davantage de
contrôle démocratique, par les parlementaires et les citoyens eux-mêmes, qui
devraient pouvoir donner leur avis en dehors des consultations électorales.
Toujours à propos du
nouveau locataire du 55 Faubourg st Honoré vous déclarez « ni lui, ni moi
ne confondons la politique et l’amitié » ? N’est-ce pas, parfois, un
exercice d’équilibriste ?
Quand je suis arrivé à
l’Elysée, je connaissais Emmanuel Macron depuis quinze ans. Nous étions amis
depuis longtemps. Nous le sommes restés quand j’étais à l’Elysée et lui à
Bercy. Quand il en est parti, nous avons arrêté de nous parler quelques mois.
Sur le moment, je n’avais pas bien pris son départ du gouvernement, même si je
l’ai compris plus tard. Puis, nous avons renoué en décembre 2016, quand
François Hollande a renoncé à être candidat. A partir de ce moment, il ne
pouvait plus y avoir de problèmes et j’ai été ravi qu’il réussisse une belle
campagne qui lui a permis de l’emporter au final contre la candidate de
l’extrême-droite.
Après tant de
rivalités, le rapprochement progressif de Manuel Valls au mouvement d’Emmanuel
Macron a dû vous surprendre ?
Oui, cela m’a beaucoup
surpris ! Mais j’ai aussi appris qu’en politique rien ne se passe jamais
comme prévu et le plus improbable finit toujours par arriver !
La publication du
livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme a été le coup de poignard final pour la
popularité de François Hollande. Vous n’avez jamais pu anticiper un tel
pataquès ? Si à l’avenir vous étiez à nouveau un communicant auprès d’un
haut politique, quel serait votre premier objectif, celui de se tenir
relativement éloigné des journalistes ?
François Hollande avait
commencé à voir ces journalistes avant mon arrivée. Il pensait que c’était
utile pour replacer son action dans le temps long, pour faire le récit du
quinquennat. L’idée était intéressante, mais le résultat n’a pas été bon. Ce
livre a déclenché une vive polémique et donné l’occasion aux adversaires du
Président de l’attaquer sans retenue.
Je ne serai plus
conseiller d’un homme politique, mais je ne recommanderai pas pour autant de
tenir trop éloigné les journalistes. Ils sont indispensables au bon
fonctionnement démocratique. Les médias sont un contre-pouvoir dont nous avons
absolument besoin.
L’appel téléphonique
de Donald Trump à François Hollande est d’un surréalisme burlesque. Est-ce la
plus grande bouffonnerie que vous avez vécue ou bien vous en mettez en réserve
pour raconter plus tard ?
Je crois que c’est
certainement le moment le plus surréaliste et tragi-comique de la fin du
quinquennat. C’était vraiment hallucinant !
Voyez-vous toujours
François Hollande ? Et quel souvenir le plus intense gardez-vous de
lui ?
Je le vois de temps en
temps, mais beaucoup moins souvent qu’avant. J’ai toujours beaucoup de plaisir
à discuter avec lui. Il est toujours aussi intelligent, sympathique et drôle.
Le moment le plus intense
que nous avons vécu ensemble est certainement la marche du 11 janvier 2015. Ce
jour-là, des millions de citoyens et tous les chefs d’Etat et de gouvernement
de la planète s’étaient donné rendez-vous pour défendre les libertés et la
culture.
Riche de votre
expérience, quel serait le premier conseil que vous pourriez donner à votre
remplaçant à l’Elysée ?
Je n’ai aucun conseil à
donner à ceux qui ont pris ma suite à l’Elysée. Ce sont de très bons
professionnels, qui ont parfaitement compris l’impact de la révolution
numérique sur la communication politique et, surtout, font tout pour faire
comprendre l’action du Président. C’est l’essentiel, car la communication n’a
de sens que si elle est au service du fond.
Pour terminer, le
petit quiz traditionnel que les lecteurs de l’écureuil affectionnent
particulièrement :
-
Un roman : Le Rouge et le Noir
de Stendhal
-
Un personnage : Marco Stanley Fogg, le héros de Moon Palace de
Paul Auster
-
Un(e) écrivain(e) : Romain Gary
-
Une musique : Allo Paris de Mano
Solo
-
Un film : Le Père Noël est
une ordure de Jean-Marie Poiré
-
Un peintre : Henri Matisse
-
Une photographie :
Celle de mes enfants
-
Un animal : Le chat
-
Un dessert : Le Paris-Brest
-
Une devise/citation : « Vis maintenant ! Risque-toi
aujourd’hui ! Agis tout de suite ! Ne te laisse pas mourir
lentement ! Ne te prive pas d’être heureux » de Pablo Neruda
La politique est un
sport de combat – Gaspard Gantzer – Editions Fayard – Novembre 2017
2 commentaires:
Un entretien fort intéressant. C'est vrai que ça m'a toujours intriguée les coulisses du pouvoir... Et je devrais faire mienne sa devise de Neruda. Il faut agir maintenant. Demain il sera trop tard.
Merci pour votre commentaire "La plume et la page". Ces coulissent ouvrent un vaste rideau sur le théâtre de la politique. A lire vraiment. Quant à Pablo Neruda, siempre palabras maravillas...
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