Une noisette, un livre
Nulle part sur la terre
Michael Farris Smith
Nulle part sur la terre. Lire ce titre et
rester dubitatif. Où va nous entraîner ce récit entre une maman et sa petite
fille, Maben et Annalee, errant sur les routes de Louisiane, et un condamné,
Russell, sorti juste de prison, retournant chez lui dans l’incertitude la plus
totale ? Peut-être nulle part, peut-être partout, peut-être vers le néant
ou bien, tout simplement, vers le chemin tortueux du sort inconnu des femmes et
des hommes.
Un roman noir à l’image de sa couverture :
vide de toute action mais avec des reflets gris qui s’élèvent par un effet de
lumière dans la perspective. Comme pour donner un relief supplémentaire aux deux
protagonistes confrontés à un cruel destin mais qui persistent à s’accrocher à la
vie en surpassant les épreuves. Et ce, dans la solitude la plus totale.
Autre personnage attachant même si son rôle
est plus en transparence, c’est celui de Boyd, un policier au grand cœur, ami d’enfance
de Russell, qui se pose 1001 questions sur la vie, la mort, sur le bien, le
mal, sur les choses à faire, les décisions à prendre face au mur des
incertitudes.
L’un des faits les plus remarquables de ce
polar est le mouvement crescendo de l’écriture. D’un début que l’on peut
qualifier de banal, on progresse ensuite lentement vers une profondeur des
sentiments jusqu’aux descriptions poétiques et philosophiques sur la condition
humaine, ses dérives et ses destins. Destins qui basculent à la moindre
étincelle, tombent progressivement et, parfois, puisent dans une énergie
inexplicable pour retrouver le souffle de l’existence.
Si quelques doutes sont permis en début de
lecture, notamment par l’accumulation des « et », la répétition de
mots ou d’expressions, ils s’effacent rapidement. On comprend la volonté de
Michael Farris Smith de jouer à la fois sur les tournures stylistiques pour la forme
et sur les sentiments opposés pour le fond. Le tout afin de transformer son
roman noir en une colorimétrie psychologique par des demi-teintes énigmatiques.
« Il
baissa les vitre et le vent chaud s’enroula autour de lui comme l’étreinte d’un
vieil ami. Il roula et roula jusqu’à ce que toutes les lumières alentour aient
disparu et qu’il n’y ait plus que lui et la terre et la nuit. Quand il fut
certain qu’il ne risquait pas de croiser d’autres véhicules, il ralentit,
éteignit les phares et continua de rouler à la seule lueur orangée de ses
veilleuses qui balayaient la route au
ras du sol devant lui comme si la voiture de patrouille était une espèce de
vaisseau extraterrestre en mission de reconnaissance sur un terrain inconnu. »
Nulle part sur la terre – Michael Farris Smith – Traduction Pierre
Demarty – Editions Sonatine - Août 2017
Livre reçu dans le cadre du Grand Prix des
Lectrices Elle 2018
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