Une noisette, un livre
De l’ardeur
Justine Augier
Personne ne pourra rester insensible à la
lecture de ce document. C’est non seulement un travail d’enquête, mais aussi un
instructif récit sur les méandres du conflit syrien.
Justine Augier a voulu mettre en lumière
Razan Zaitouneh, discrète avocate syrienne et militante en faveur des droits de
l’homme. Depuis décembre 2013 elle a disparu suite à un enlèvement avec son
mari et deux autres proches dans la banlieue de Damas. Sur la base de peu
d’éléments, elle retrace le parcours de cette femme atypique, laïque mais qui
fonçait tête baissée et sans aucune crainte pour tenter de faire bouger les
choses en Syrie, dénoncer l’horreur, sauver des prisonniers et espérer un vent
de renouveau.
Si le style d’écriture peut dérouter au
premier abord, on serait tenté de la définir comme empirique, on est vite entraîné dans les descriptions de l’auteure et dans
sa recherche de vérité. Elle narre, en fait, en fonction de la réalité
syrienne : brutale et tranchante. Elle raconte le parcours de Razan
Zaitouneh, relate les discours des personnes qui la connaissent, ont croisé sa
route, et cherche à savoir si l’avocate est toujours en vie même si les espoirs
s’amenuisent au fur et à mesure.
J’ai particulièrement apprécié que Justine
Augier fasse référence tout le long du livre à Michel Seurat, sociologue et
chercheur, pris en otage à Beyrouth en 1985 et décédé en captivité un an plus
tard, cette tragédie révèlant toute la complexité du Moyen-Orient et de toutes
les forces s’opposant entre elles, le tout couronné par les divergences des
institutions internationales, les couloirs parfois sombres de la diplomatie.
S’ajoutent également des extraits de livres
incontournables sur la dictature syrienne et la guerre dévastatrice qui sévit
depuis 2011, dont « Carnets de Homs » de Jonathan Littel, « Les
portes du néant » de Samar Yazbek et l’insoutenable « La
coquille » de Moustafa Khalifé.
A chaque fois, il en ressort un cri
d’épouvante face à ce que l’homme peut inventer pour torturer ses semblables.
Et aussi un cri face au silence assourdissant de ceux qui ne font que constater
du haut de leurs pouvoirs. Comment au XXI° siècle, après des milliers de
décennies de barbarie, après les génocides à travers le monde, comment la
torture puisse continuer à être exercée ? Et pourquoi… C’est ce sentiment
de révolte qui ressort une fois de plus.
Mais n’y a-t-il pas les désordres ordonnés ?
L’auteure sait très bien reconstituer le fil du conflit syrien et elle rejoint
les diverses analyses élaborées à ce sujet : l’opposition au régime du Lion
de Damas (lui-même étant un redoutable félin de la manipulation) a été et est
bien trop divisée, chacun voulant s’approprier un morceau tombé et où les
jalousies ont carte blanche.
En attendant, Raza Zaitouneh, « celle
qui écrivait sur une corde raide » est introuvable. Comme des milliers
d’autres personnes, disparues, décédées, mutilées, torturées sur ce sol syrien,
sur ce sol qui a accueilli l’un des plus anciens peuples de l’Antiquité, sur ce
sol où les dieux ont bâti une civilisation faisant de Palmyre l’un des foyers
de l’humanité. Aujourd’hui, ce sont des ogres qui en font un foyer d’inhumanité
malgré l’ardeur déployée par des femmes et des hommes qui veulent encore croire
à une possible paix, à une possible liberté.
De l’ardeur – Justine Augier – Actes Sud – Septembre 2017
Prix Renaudot Essai 2017
Prix Renaudot Essai 2017
Livre reçu dans le cadre du Grand Prix des
Lectrices Elle 2018
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