Souvenirs d'un médecin d'autrefois

lundi 6 novembre 2017


Une noisette, un livre

 

De l’ardeur

Justine Augier


 


Personne ne pourra rester insensible à la lecture de ce document. C’est non seulement un travail d’enquête, mais aussi un instructif récit sur les méandres du conflit syrien.

Justine Augier a voulu mettre en lumière Razan Zaitouneh, discrète avocate syrienne et militante en faveur des droits de l’homme. Depuis décembre 2013 elle a disparu suite à un enlèvement avec son mari et deux autres proches dans la banlieue de Damas. Sur la base de peu d’éléments, elle retrace le parcours de cette femme atypique, laïque mais qui fonçait tête baissée et sans aucune crainte pour tenter de faire bouger les choses en Syrie, dénoncer l’horreur, sauver des prisonniers et espérer un vent de renouveau.

Si le style d’écriture peut dérouter au premier abord, on serait tenté de la définir comme empirique, on est vite entraîné dans les descriptions de l’auteure et dans sa recherche de vérité. Elle narre, en fait, en fonction de la réalité syrienne : brutale et tranchante. Elle raconte le parcours de Razan Zaitouneh, relate les discours des personnes qui la connaissent, ont croisé sa route, et cherche à savoir si l’avocate est toujours en vie même si les espoirs s’amenuisent au fur et à mesure.

J’ai particulièrement apprécié que Justine Augier fasse référence tout le long du livre à Michel Seurat, sociologue et chercheur, pris en otage à Beyrouth en 1985 et décédé en captivité un an plus tard, cette tragédie révèlant toute la complexité du Moyen-Orient et de toutes les forces s’opposant entre elles, le tout couronné par les divergences des institutions internationales, les couloirs parfois sombres de la diplomatie.

S’ajoutent également des extraits de livres incontournables sur la dictature syrienne et la guerre dévastatrice qui sévit depuis 2011, dont « Carnets de Homs » de Jonathan Littel, « Les portes du néant » de Samar Yazbek et l’insoutenable « La coquille » de Moustafa Khalifé.

A chaque fois, il en ressort un cri d’épouvante face à ce que l’homme peut inventer pour torturer ses semblables. Et aussi un cri face au silence assourdissant de ceux qui ne font que constater du haut de leurs pouvoirs. Comment au XXI° siècle, après des milliers de décennies de barbarie, après les génocides à travers le monde, comment la torture puisse continuer à être exercée ? Et pourquoi… C’est ce sentiment de révolte qui ressort une fois de plus.

Mais n’y a-t-il pas les désordres ordonnés ? L’auteure sait très bien reconstituer le fil du conflit syrien et elle rejoint les diverses analyses élaborées à ce sujet : l’opposition au régime du Lion de Damas (lui-même étant un redoutable félin de la manipulation) a été et est bien trop divisée, chacun voulant s’approprier un morceau tombé et où les jalousies ont carte blanche.

En attendant, Raza Zaitouneh, « celle qui écrivait sur une corde raide » est introuvable. Comme des milliers d’autres personnes, disparues, décédées, mutilées, torturées sur ce sol syrien, sur ce sol qui a accueilli l’un des plus anciens peuples de l’Antiquité, sur ce sol où les dieux ont bâti une civilisation faisant de Palmyre l’un des foyers de l’humanité. Aujourd’hui, ce sont des ogres qui en font un foyer d’inhumanité malgré l’ardeur déployée par des femmes et des hommes qui veulent encore croire à une possible paix, à une possible liberté.

De l’ardeur – Justine Augier – Actes Sud – Septembre 2017
Prix Renaudot Essai 2017

Livre reçu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2018

 

 

 

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