Une noisette, un livre
Légende d’un dormeur
éveillé
Gaëlle Nohant
Le
livre est un outil magique. Celui de pouvoir vivre une histoire avec son auteur,
celui de faire battre votre cœur selon les pulsations des vocables, celui de
vous immerger dans un passé que vous n’avez pas connu et pourtant qui vous
semble soudainement si proche. Ou encore, tourner les premières pages et sentir
une odeur de café, la discussion d’un groupe d’amis, une musique cubaine ou un
air de jazz, le bruit des pas sur l’asphalte. C’est l’effet de la
« Légende d’un dormeur éveillé », où l’on entre en communion avec l’âme
de Robert Desnos, ce « rêveur lucide ».
Inutile
de présenter Robert Desnos, chantre du surréalisme (même s’il déclara son
désamour avec certains de ses représentants) qui déploya une énergie
considérable pour mettre de la poésie sur chaque instant de vie, même les plus
noirs. Il était total, engagé, volontaire, débordant d’amour pour ses amis et
de colère envers les haineux. Sincère jusqu’à la moelle il s’éloigna jamais de
ses convictions même lorsque la mort se penchait sur son épaule, c’était Robert
Desnos, la résistance dans la lucidité et une bravoure artistique.
Le
dernier opus de Gaëlle Nohant n’est pas un roman, c’est un hommage lumineux au
poète et journaliste, on peut le qualifier de monument, un monument aux
multiples colonnes travaillées avec une recherche absolue de l’esthétisme et de
la précision d’un orfèvre. Un fabuleux voyage dans le passé avec Jacques
Prévert, Paul Eluard, Pablo Neruda, Federico Garcia Lorca, Jean-Louis
Barrault…, qui séduira tous les amoureux de littérature, de théâtre, de cinéma,
ces amoureux de cette époque créatrice qui ne cessait de casser les codes,
franchir les interdits, déclamer une soif de liberté… comme si une ombre prémonitoire
leur avait susurré d’en profiter… Car quelques années plus tard, combien
déverseront leur sang devant les ogres de l’enfer…et combien le roman de Gaëlle
Nohant sait transcrire par des phrases d’une extrême méticulosité cette période
de renouveau artistique avant qu’une bête immonde n’arrache la vie à des
millions de personnes. Un livre qui laisse rêveur mais l’hypnose se brise
lorsque le récit arrive à l’arrestation de Robert Desnos et l’Amour avec un
grand A entre en scène : celui de Youki, la Sirène indomptable qui se
révèle une amoureuse admirable déployant toutes ses forces pour son bien-aimé. Gaëlle
Nohant transforme sa plume en une immense maestria d’émotion, tant qu’à la fin
de l’ouvrage ce sont des larmes qui se mettent à ruisseler instinctivement dans
cet opéra littéraire où le héros succombe face à l’absurdité de la fatalité.
Mais
c’est l’amour qui, vraiment, est l’un des fils conducteurs de ce récit.
L’amour qui évite la haine, la vengeance. C’est l’amour des mots, des phrases,
des textes, l’amour de l’art, l’amour entre les êtres, l’amour de la
différence, l’amour de la liberté.
Une légende à répandre comme des libations à une divinité poétique qui réveille en nous nos plus profonds émois.
Et sur cet oreiller dormir
Et dormant rêver
À des choses curieuses ou d’avenir,
Rêvant croire à ce qu’on rêve
Et rêvant garder la notion
De la vie qui passe sans trêve
Du soir à l’aube sans rémission.
Ceci est presque normal,
Ceci est presque délicieux
Mais je plains ceux
Qui dorment vite et mal,
Et, mal éveillés, rêvent en marchant.
Ainsi j’ai marché autrefois,
J’ai marché, agi en rêvant,
Prenant les rues pour les allées d’un bois.
Une place pour les rêves
Mais les rêves à leur place."
Légende d’un dormeur
éveillé – Gaëlle Nohant – Editions Héloïse d’Ormesson – Août 2017
Livre
reçu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2018
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