jeudi 5 août 2021

 

Une noisette, un livre
 
Dans les forêts du paradis
Tristan Savin

 


Je ne sais si nous irons tous au paradis mais déjà Tristan Savin nous indique des voix à suivre, des voix pas forcément impénétrables mais qui sauront apprendre aux humains – pas nous autres écureuils – comment retrouver avec humilité ce lien unique sur terre, ce cordon ombilical qui unit chaque bipède : la nature et ses éléments, le monde minéral, le monde végétal, le monde animal ; une polyphonie à trois à écouter et à sauvegarder au nom de Gaïa.

Avant tout je remercie le reporter d’avoir à plusieurs reprises – je ne parle aucunement de chaussettes – référencé le mot écureuil et même jusqu’à en dessiner un sur la mappemonde en compagnie d’un toucan, d’un jaguar, d’un lémurien et de quelques autres symboles à protéger sur la planète. Ensuite, gratitude envers l’auteur pour m’avoir fait revivre tant de souvenirs d’enfance : les albums Sylvain et Sylvette, les manuels des Castors Juniors – un seul pour moi car mes parents craignaient le pire avec ce genre d’arme de destruction intrépide dans les pattes –, l’intérêt pour l’ornithorynque, le jeu des capitales sur la route des vacances et l’enchantement onirique en découvrant photos et livres sur l’Amazonie et la cité d’Angkor. Puis- je ajouter Beethoven ? Sûrement pour cette ode à la joie livresque qui déclenche une musicalité au fil des pages.

Tristan Savin raconte trente ans de galopades au sein des forêts primaires pour toucher le Graal, réaliser ses désirs les plus ardents : une embarcation en Amazonie, la quête d’un jaguar dans son élément naturel, marcher sur les pas des Mayas, emprunter l’itinérance d’un Joseph Conrad en Malaisie jusqu’à un  bavassage inespéré avec les lémuriens de Madagascar. Des forêts, encore des forêts, toujours des forêts. Les déserts et autres étendues de sable seront réservés à d’autres voyageurs, lui c’est la chlorophylle, ce vert – arf cette couleur – qui peint en moult nuances toute la vie qui s’offre mais aussi celle qui se cache malicieusement ou dans un esprit salvateur pour survivre.

Origine oblige, l’écrivain décrypte l’ensemble des ces hiéroglyphes arboricoles, plonge dans une espèce de mythologie moderne pour caresser chaque branche faisant respirer le poumon de la terre. Et dans cette narration minutieuse, érudite et colorée, le sédentaire aura l’impression d’avoir foulé pendant quelques heures des territoires inconnus, refermera le livre avec la satisfaction d’avoir découvert, appris et réalisé une fois encore que seuls la beauté et le rêve peuvent adoucir les tumultes de sociétés enfermées dans l’égocentrisme et la course politico-mercantile.

Mais tout amoureux de la nature ne peut séparer, ne peut négliger l’humain. Et admirer ceux qui résistent aux folies technologiques comme ce « peuples jungle » ou la fameuse expression du « peuple racine » : Guaranis, Kayapos, Ibans, Pygmées, Papous… La soi-disant civilisation ne les protège pas, elle les lamine. Pourtant, leur savoir est d’une richesse absolue et savent vivre dans l’atmosphère la plus hostile en connaissant les bénéfices et les dangers des étendues forestières. Les passages avec Don Cesario en territoire amazonien valent tous les livres d’apprentissage !

Un exemple de vie mis à mal avec les tourbillons industrielles et autres inepties de l’homme dit moderne. La destruction de la forêt amazonienne, le bombardement à l’huile de palme – je recopie un passage tant il est parlant – et la nouvelle folie chinoise qui se dessine dans le silence habituel des brailleurs à géométrie variable, celle de construire un parc d’attraction sur le site religieux cambodgien d’Angkor, pourtant inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Essayons toutefois de garder un faisceau d’optimisme, regardons dans la même direction que celle des branches qui dessinent des arabesques mirifiques vers cette canopée où toutes les musiques du monde voudraient pendant encore des siècles faire vibrer les âmes d’enfant pour les faire grandir sur le tronc de toutes les espérances. Jacques Lacarrière avait raison de s’immiscer dans cette écorce, quarante ans plus tard, Tristan Savin en fait jaillir toute la sève.

« Cette formidable biosphère stocke aujourd’hui près de 40% du carbone planétaire. Et la déforestation contribue à hauteur de 15% aux émissions de CO2 dans l’atmosphère. D’où l’urgence de préserver ces forêts oubliées pour limiter, sinon ralentir, le réchauffement climatique. Quand on se passionne pour l’univers du vivant, comme c’est mon cas depuis ce voyage initiatique au Mexique, l’importance de sauvegarder les forêts primaires est une évidence. Et même une priorité, au regard du temps perdu. Car le dérèglement climatique n’est pas né de la dernière pluie. De grands explorateurs comme Paul-Emile Victor et Haroun Tazieff nous avaient alertés dès les années 1970 – mais peu de gens, hélas, les ont écoutés ».

« Il m’est souvent arrivé, dans la jungle, en marchant sur un tapis de feuilles mortes, de voir défiler, sous mes pieds, ces longues excroissances, tellement envahissantes. Elles semblaient m’indiquer un chemin (…) Les racines nous apprennent l’essentiel : nous devons, comme elles, trouver notre propre chemin. Ne jamais nous laisser abattre. Poursuivre notre route, coûte que coûte. En quête de lumière ».

« Le chef débarqua sans dire un mot. Il posa sa carabine de chasse rudimentaire à ses côtés, s’assit en tailleur et se mit à manger avec les doigts, après nous avoir salués d’un simple signe de tête. J’étais presque déçu de le voir porter un vieux short en jean et un T-shirt rose, déchiré à l’épaule. Pourtant, si jamais homme eût un visage d’Indien, c’était bien Don Cesario. Le chaman secoya avait une face ridée, fripée, au cuir épais. Démentant la légende tenace qui apparente les Amérindiens à des hommes à la peau rouge, la sienne avait plutôt la couleur d’une feuille de maïs séchée. Comme sur un parchemin de l’Asie ancienne, on y lisait les origines de sa tribu. Ses yeux avaient la teinte café au lait de la rivière, parcourue de reflets dorés. Son épaisse chevelure grise, pareille à la toison d’un coati, laissait dépasser des lobes déformés par de lourdes boucles d’oreilles. J’aurais été incapable de deviner son âge. Mais la lente violence des attaques du temps, paradoxalement, donnait au beau masque de bois de son fier visage la paisible apparence d’une eau limpide ayant l’éternité pour se coucher. »

« Les ravages dénoncés par les ONG étaient donc bien réels : ils s’étendaient sous mes yeux. Pour produire une célèbre pâte à tartiner européenne dont je tairai le nom, la planète devait fournir de plus en plus d’huile de palme. En France, on gave les enfants avec cette friandise chocolatée, aggravant les risques d’obésité. Et en Asie du Sud-Est, pour générer des profits, on défriche les plus vieilles forêts du monde afin de planter des palmiers à croissance rapide, bien plus rentables que la préservation des orangs-outans ! Car ils fournissent l’huile végétale la plus consommée sur Terre : on en trouve dans le chocolat, la margarine, la lessive et les cosmétiques, notamment le rouge à lèvres. A elles seules, l’Indonésie et la Malaisie – qui se partagent l’île de Bornéo – concentrent 85% de sa production mondiale. Pour y parvenir, les autorités malaisiennes ont encouragé la déforestation de cinq millions d’hectares. Avec pour conséquence de brûler la forêt primaire afin de laisser place à cette monoculture. En Indonésie, l’équivalent d’un terrain de football est réduit en cendres toutes les quinze secondes. Les feux de forêts ont fait passer le pays à la troisième place des Etas émetteurs de CO2. Et l’habitat de la faune sauvage disparaît à grande vitesse : à Sumatra, où la culture de l’huile s’est intensifiée, la population d’orangs-outans a chuté de plus de 90% ! En plus ces cultures industrielles nécessitent des pesticides et des engrais chimiques, et ceux employés ici ont été reconnus toxiques par l’Union européenne. Ils tuent les animaux en contaminant les sols et l’eau. Un véritable cercle vicieux. La terre sacrée des Ibans, des Dayaks et des Punans a été profanée, victime de l’avidité, de la cupidité. Une fois de plus, l’inconséquence des hommes a transformé un paradis terrestre en enfer ».

Dans les forêts du paradis – Tristan Savin – Préface de Jean-Christophe Rufin – Coulisses du chemin avec Julien Blanc-Gras, Jean Lavoué et Marc Nagels – Editions Salvator – Avril 2021

1 commentaire:

Hildegarde a dit…

Notre écureuil nous donne envie de lire et encore bien plus lorsqu'il s'agit de nature car n'est-ce pas avec les arbres que nous fabriquons les livres ??

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