Souvenirs d'un médecin d'autrefois

lundi 28 décembre 2020

 

Une noisette, un livre
 
L’espion et le traître
Ben Macintyre

 


L’espionnage fait partie des plus vieux métiers du monde. En 1825 avant J.C., Ramsès avait déjà élaboré de fins stratèges d’espionnage et de contre espionnage, comme révéler à l’ennemi des fausses informations.  Dans l’empire romain sous Domitien, les « frumentarii » participaient aux services secrets pour renseigner l’empereur. La légende raconte qu’un « frumentarius » arriva à retrouver au III° siècle l’évêque d’Alexandrie Denys et à le faire arrêter. Bien plus tard, Napoléon disait qu’un « espion bien placé vaut mille combattants ».

Parfois détestés, parfois adorés, disons tout de suite que les espions ne restent pas inaperçus dans la mémoire collective : héros de la Grande Histoire ou pitoyables traîtres, ils passent pour des menteurs avec un art du double discours à faire pâlir la plus habile des langues de bois. L’historien et journaliste Ben Macintyre s’est penché sur l’un des  personnages les plus emblématiques dans les relations est/ouest du vingtième siècle : Oleg Gordievsky.

Gordievsky est né en 1938 à Moscou dans une famille liée au pouvoir soviétique, son père étant un officier du KGB. Sa mère, bien que croyante, suivait le concept idéologique de son mari bien que des doutes s’infiltraient en son for intérieur. C’est donc naturellement que le jeune Oleg s’oriente vers les services secrets d’autant que son frère a déjà rejoint les rangs du service soviétique du renseignement. Travailleur, brillant, polyglotte, il franchit rapidement les étapes jusqu’à obtenir en 1963 un poste à l’ambassade soviétique de Copenhague. Ce pied dans un pays de l’Ouest va progressivement faire basculer les sentiments de Gordievsky envers les dirigeants de sa nation, d’autant plus qu’il était à Berlin lors de la construction du mur en 1961. Il prend goût aux écrits interdits et à la musique classique occidentale. Et à la liberté qui semble s’épanouir dans les démocraties européennes. Ce sentiment se décuplera en 1968 lors des événements de Prague et c’est progressivement qu’il va travailler pour les services britanniques du M16, d’abord lors d’un premier contact lors de son affectation au Danemark, puis de façon spectaculaire lorsqu’il obtiendra un poste à l’ambassade de Londres. Double langage, double jeu, espion pour l’Ouest, traître pour l’Est, jamais Gordievsky ne faiblira et gardera seul son secret, refusant d’avouer à sa deuxième épouse et mère de ses deux filles – qui travaille pour le KGB – qu’il est passé de l’autre côté du mur. Mais, les agents doubles existent des deux côtés et un certain Aldrich Ames va mettre la puce aux grandes oreilles de Moscou… l’opération PIMLICO démarre.

Cette biographie c’est un roman, c’est un film. C’est du John le Carré à la sauce hitchcokienne ! Malgré la complexité de l’histoire et la quantité d’acteurs qui s’agitent de Moscou à Washington en passant par Londres et autres points stratégiques, la lecture se déroule comme un long tapis rouge sans jamais savoir où la course se termine tant la réalité dépasse la fiction. Qui dit biographie dit radiographie et c’est un scanner livresque qui passe au rayon X l’histoire soviétique, de Staline jusqu’à la perestroïka de Gorbatchov. Avec des tacles qui ne sont pas loin d’être toujours d’actualité. L’auteur n’oublie pas de mettre en lumière toutes les ombres s’engouffrant dans l’âme de Gordievsky, aussi bien son exil définitif que les difficultés intimes liées à ses mensonges permanents auprès de son entourage le plus proche. Pourtant il aimait Leïla Aliieva mais son métier est resté au-dessus de l’amour. Espionnage et trahison sur toute la gamme.

Sueurs garanties pour cet espion qui venait du froid.

« Dans l’espionnage comme en amour, une certaine distance, un léger doute, une tiédeur apparente peuvent stimuler le désir. Pendant les huit mois de frustration qui suivirent le déjeuner à l’hôtel Osterport, l’enthousiasme de Gordievsky ne cessa de grandir ».

« On attribua à Lénine l’invention du terme « idiot utile », poleznyi dourak en russe : il décrit une personne qui peut être utilisée pour diffuser de la propagande sans en être consciente ou pour servir les intérêts d’un manipulateur ».

« La paranoïa est la fille de la propagande, de l’ignorance, du secret et de la peur. L’antenne de Londres [ambassade soviétique] en 1982 était un des lieux les plus paranoïaques du globe. Une organisation souffrant d’un état d’esprit d’assiégé qui ne relevait en fait que du pur fantasme ».

« Dans un organisme vertical et veule, une chose est plus dangereuse que de révéler sa propre nullité : attirer l’attention sur la stupidité de son supérieur ».

« Les faucons de Washington alimentaient les faucons du Kremlin qui voyaient venir la fin du monde ».

« Fou de rage et humilié, ignorant encore comment Gordievsky s’y était pris, le KGB se lança dans une campagne de désinformation, de « fake news ».

L’espion et le traître – Ben Macintyre – Traduction : Henri Bernard – Editions Pocket – Août 2020

2 commentaires:

Isabelle Ebens a dit…

Lu suite à votre introduction sur Instagram. Prenant comme un roman d’espionnage effectivement, mais quand même « un peu » manichéen.

Squirelito a dit…

Merci pour votre lecture. Pas vu de manichéisme mais c'est intéressant comme réflexion vu le sujet.

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