lundi 7 décembre 2020

 

Une noisette, un livre
 
La chambre des dupes
Camille Pascal

 


Venez, accourez, je vous invite pendant quelques heures à observer les coulisses d’une histoire française au temps de Louis XV. Une histoire de quelques années entre Versailles, Paris, Choisy, Fontainebleau et Metz dans les flots du libertinage royal et des dessous d’une coterie prête à tourner casaquin ou gilet selon l’orientation des dentelles des favorites et des souffles du monarque.

Le jeune roi Louis XV est effondré. Sa maîtresse, la marquise Pauline de Vintimille se meurt après avoir accouché de Louis. Issue d’une très vieille noblesse française, la Maison de Mailly, elle avait d’autres sœurs : Louise qui fut la maîtresse du roi avant de rencontrer Pauline et Marie-Anne, marquise de la Tournelle qui deviendra la duchesse de Châteauroux, protagoniste de ce roman foisonnant, errant d’alcôves en alcôves dans une véracité historique exemplaire.

Rapidement, Louis XV tombe éperdument amoureux de Marie-Anne et n’hésite pas à user de tous les stratagèmes pour réussir à satisfaire les frémissements de son épée anatomique. Mais il doit s’armer de patience car la belle Marie-Anne n’est pas disposée à révéler ses charmes cachés et va s’assurer de recevoir moult avantages et garanties avant de dévoiler ses talents d’amante. Dans un royaume où les incursions intimes sont affaires d’Etat, l’un et l’autre s’appuieront sur deux êtres de confiance, l’un chaste, l’autre beaucoup moins : le cardinal de Fleury et le duc de Richelieu, ce dernier étant un personnage de roman à lui tout seul. Le roi de France et la future duchesse jouissent ensemble d’une volupté retrouvée jusqu’au jour où Louis XV tombe gravement malade, ses jours semblent comptés surtout avec l’aide d’un Diafoirus plus vrai que nature. L’Eglise, les rivales, les courtisans, la Reine et sa suite, tous orchestrent une sarabande vertigineuse devant l’imminence d’une danse royale macabre. Mais, entre deux saillies, le Duc de Richelieu veille…

Camille Pascal signe un roman époustouflant. Drôle et acrobatique, voluptueux dans la forme et rigoriste dans le fond, agitant la plume sur des personnages aussi historiques que modernes car, curieusement, peut-être bien férocement actuels. Cabrioles de mots au royaume des fantaisies de l’amour, de ses divins mensonges et trahisons qui ravissent l’esprit et font jaillir l’élégance de la langue française quand elle s’habille avec subtilité. « La chambre des dupes » s’est délicatement couchée dans la verve d’un Georges Feydeau mais veillée par l’éruditon d’un Alain Decaux.

Royalement orgasmique, « orgamisquement » royal !

« Qu’adviendrait-il alors de son bon gouvernement et de cette sage diplomatie qui lui avait permis de tenir la France éloignée tout à la fois de la guerre et de la banqueroute ? Ces écervelés savaient-ils les efforts qui lui avaient été nécessaires pour relever le royaume de la ruine et embrouiller à ce point la carte diplomatique de l’Europe qu’aucune chancellerie ne s’y retrouverait plus ? Un homme l’inquiétait particulièrement, c’était le duc de Richelieu, dont l’ambition politique n’avait d’égal que le priapisme. Ce fou usait de son nom comme d’un brevet de gouvernement, prétendait à tout avec une insolence et un aplomb qui révulsaient le vieux manœuvrier passé maître dans l’art de dissimuler et de feindre depuis le grand séminaire. Richelieu, non content de se faire annoncer par l’odeur insoutenable des parfums dont il s’inondait, traînait après son char plus de femmes déshonorées que paris ne comptait de cocus ».

« Si les chaises donnaient des airs de grandeur à des hommes qui en manquaient cruellement, les nouvelles, elles, étaient alarmantes et les mines alarmées ».

« Louis XV voulait aimer Marie-Anne à Fontainebleau en prince de la Renaissance, comme Henri II y avait aimé Diane de Poitiers. Ce même jour, à Worms, l’Autriche, l’Angleterre, le Hanovre, la Saxe et le Piémont-Sardaigne signaient un traité par lequel les puissances coalisées se promettaient d’arracher l’Alsace, la Lorraine et les Trois-Evêchés à la France, mais le roi Louis XV n’en savait rien ».

« On apprenait aussi par un autre courrier que la maison de campagne du cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg et grand aumônier de Sa Majesté, avait été livrée au pillage par toute une compagnie de hussards sans aucun égard pour les immunités d’un prince de l’Eglise. La mesure était comble. Déshonorer tout un couvent de religieuses était déjà indigne de bons chrétiens, mais priver un cardinal romain de son argenterie tout en brisant ses porcelaines de Chine et ses précieux trumeaux de glace à coups de crosse portait un peu loin la barbarie ».

La chambre des dupes – Camille Pascal – Editions Plon – Rentrée littéraire 2020 – Août 2020

 

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